Quel étrange film que cette suite du cultissime "Magicien d'Oz".

Sur le papier, tout est réuni pour donner naissance à un Disney à succès : l'adaptation d'un classique de la littérature jeunesse racontant le voyage d'une petite fille dans un monde féérique peuplé de personnages farfelus (on pense évidemment à Alice au pays des merveilles) dont la précédente adaptation est devenue l'un des films les plus importants de l'Histoire du cinéma et de la culture populaire en général. Walt Disney lui-même adorait ce film et rêvait de produire les autres récits issus de l'imagination de L. Frank Baum.

Sauf que... Walter Murch n'est pas Walt Disney.


Les années 80 sont une période très particulière pour les studios Disney, peinant à retrouver la gloire passée. Concurrencée par les productions grand public de Steven Spielberg et George Lucas, bloquée par une politique familiale contraignante (en gros, Disney veut préserver sa spécificité en ne faisant appel qu'à des artistes "maison" et non à des réalisateurs travaillant pour d'autres studios), la maison de Mickey cherche un moyen de renouer avec le succès.

Possédant les droits de plusieurs œuvres de L. Frank Baum se déroulant dans le monde d'Oz, le studio Disney y voit une occasion de créer une franchise s'adressant autant aux enfants qu'aux adultes, pouvant cartonner au box-office comme "Star Wars" ou "Indiana Jones".

Ils contactent donc Walter Murch, monteur doublement palmé (pour "Apocalypse now" et "Conversations secrètes" de Francis Ford Coppola), doublement oscarisé (pour Apocalyse Now" et "Julia") et co-scénariste du THX 1138 de Lucas, et lui proposent de passer à la réalisation avec cet ambitieux projet.

Les exécutifs ne se doutent pas que Murch, grand amateur de l’œuvre originale, ne va absolument pas chercher à reproduire la magie du film de 1939, mais plutôt à être fidèle à l'ambiance plus sombre des écrits de Baum et à accentuer l'aspect psychologique.

Lorsqu'ils s'en aperçoivent, il est déjà trop tard : le tournage est déjà bien entamé et les amis du jeune réalisateur font pression auprès du studio pour qu'il conserve son poste.

Le résultat, c'est ce film, considéré comme l'un des plus gros échecs commerciaux de Disney (qui en a pourtant connu d'autres depuis), conspué à sa sortie car trop effrayant pour les enfants (certains hurlaient de peur ou quittaient la salle pendant la séance), ne convainquant ni le public ni la critique.


Il faut dire que Murch a pris le parti de s'éloigner le plus possible du classique de Victor Fleming. Il n'en est d'ailleurs pas vraiment la suite, mais plutôt celle du livre. En effet, les personnages cultes comme le Lion, l'Homme de fer blanc, l’Épouvantail ou même le chien Toto, sont relégués au second plan, voire totalement absents (C'est le cas du Magicien, de la gentille sorcière, des Munchkins et des singes volants par exemple). L'oncle et la tante de Dorothy sont nettement plus jeunes et l'environnement dans lequel ils évoluent est plus réaliste. Contrairement au film original qui idéalisait la vie d'une ferme à la fin du XIXè siècle, Walter Murch a voulu montrer les difficultés financières et psychologiques de cette famille, ayant subi une tornade qui a tout ravagé sur son passage et dont la fille n'arrive plus à dormir, ressassant des souvenirs d'un monde imaginaire.

Faute de moyens, la petite Dorothy (interprétée par la fascinante Fairuza Balk qui, contrairement à Judy Garland, a l'âge du rôle) est internée dans une clinique expérimentale aux traitements de choc (à base d'électrochocs justement). Les scènes se déroulant dans la clinique sont bien trop angoissantes pour un jeune public et, bien qu'on n'assiste pas réellement à la torture attendue, les enfants peuvent facilement imaginer ce qui attendait la pauvre Dorothy si l'orage n'avait pas fait sauter les plombs et qu'une autre pensionnaire ne l'avait pas aidée à s'enfuir, avant de se noyer dans la rivière.


Se retrouvant à nouveau au pays d'Oz, celui-ci n'a plus grand chose à voir avec ses souvenirs (ou avec les nôtres). Beaucoup moins coloré, dépeuplé de ses personnages fantastiques, même la route de briques jaunes est détruite. Dorothy, et sa poule qui parle (normal), y sont attaquées par des punks à rollers (aux pieds et aux mains) et surveillées par de grosses pierres qui parlent (comme tout le monde à Oz). On découvre alors le sort réservé au Lion poltron et à l'Homme de fer, tous deux transformés en statues comme de nombreux autres habitants du royaume, par la méchante princesse Mombi, ayant la particularité de changer de visage, sans passer par la case bistouri mais en plantant directement sur son cou les têtes des gens qu'elle a figés (oui, c'est assez gore).

Ne pouvant compter sur ses amis, Dorothy fait la connaissance d'un gros robot moustachu qu'il faut remonter pour qu'il pense, pour qu'il parle et pour qu'il bouge (ce qui donne d'ailleurs lieu aux moments les plus cocasses du film) puis d'un bonhomme à tête de citrouille et, enfin, d'un élan (enfin seulement sa tête empaillée) faisant office de chauffeur de tapis volant. Ils finissent par rencontrer le roi des Nomes (ces pierres vivantes dont je vous parlais plus tôt) qui a pris le pouvoir grâce aux souliers de rubis qu'il a volés à Dorothy quand elle revenait de son précédent séjour (vous suivez toujours ?).

Ce vieux rocher dictateur (qui a la voix du Merlin d'Excalibur) leur impose alors une épreuve que les amis devront accomplir pour libérer l'épouvantail, retenu prisonnier pour une raison obscure et qui, une fois libérée, ne sera d'aucune utilité particulière.

Dorothy finira bien sûr par récupérer ses souliers magiques, grâce à l'aide de sa copine la poule qui pond un œuf sur le roi des Nomes, qui, pas de bol, est mortellement allergique aux œufs, et par retourner au Kansas.


Malgré un budget confortable et des effets spéciaux plutôt réussis (pour l'époque bien sûr), le film surprend par son absence de spectaculaire. La plupart des plans sont assez serrés et ne permettent absolument pas d'être impressionnées par les décors, que ce soient ceux de la campagne kansasaise ou ceux du pays d'Oz. La caméra préfère montrer des éléments précis, rappelant sans cesse au spectateur qu'il n'arpente pas le même monde fantastique qu'il pensait retrouver, mais plutôt ses ruines, une version plus proche d'un cauchemar que d'un rêve, et surtout plus réaliste. Comme si la pauvre Dorothy, traumatisée, n'avait même plus foi en son imagination, et avait perdu l'espoir, symbolisé autrefois par la chanson "Over the rainbow".

Pour bien marquer la différence avec l’œuvre signée Victor Fleming (en réalité, le film de 1939 a été commencé par George Cukor et terminé par King Vidor), Walter Murch abandonne totalement l'aspect Comédie musicale, ce qui rend bien sur l'ensemble nettement moins enjoué. Il ne reprend pas non plus le principe du noir et blanc pour le monde réel et de la couleur pour le monde d'Oz (contrairement au préquel que réalisera plus tard Sam Raimi, également pour Disney), ce qui accentue le doute de Dorothy à son arrivée puisqu'hormis une poule qui parle et la rivière qui s'évapore, les choses ne semblent visuellement pas si différentes.

D'autres éléments différencient les deux films : les 3 amis originaux ne ressemblent plus aux valets de ferme (qui n'existent d'ailleurs plus), les 3 nouveaux amis ne représentent personne en particulier mais plutôt des objets aperçus dans la clinique (accentuant le sentiment de solitude de la petite fille) et le pays d'Oz n'apparait plus comme un univers imaginaire et magique dans lequel se réfugie l'héroïne mais plutôt comme une métaphore du réel, dans lequel elle parvient à reprendre le contrôle sur sa vie et sur son environnement.


Tombé dans une sorte d'oubli et quasi-introuvable pendant plusieurs décennies, "Return to Oz" s'offre une nouvelle vie sur Disney+, permettant à ceux qui l'avaient vu enfants de le revoir avec des yeux d'adultes (bien plus adaptés finalement) et à ceux qui ignoraient son existence, ou n'en avaient entendu parler que comme une sorte de légende urbaine, de le découvrir enfin.

Personnellement, j'avais le souvenir d'un film un peu cheap manquant d'ambition et recyclant des idées d'autres films. J'ai pu me rendre compte qu'il n'en était rien (bon, c'est vrai que les wheelers ou le canapé-lit volant font très datés vus d'aujourd'hui), que ce film est à la fois osé et inspiré à plein de niveaux, et que ce que je croyais être une sorte de plagiat vient en fait bien des histoires de L. Frank Baum.


On imagine bien qu'il y a du avoir de grosses disputes entre le réalisateur (qui retournera définitivement à son métier de monteur après ça) et le studio (dont les patrons ont du s'étouffer à la première projection) et que certains choix artistiques n'ont pas pu aboutir tandis que d'autres lui ont été imposés (le happy end par exemple ainsi que l'utilisation de la phrase "There's no place like home" absente de l’œuvre de Baum), mais on ne peut que reconnaitre à ce film une originalité et une liberté de ton assez incroyables pour une production Disney.


Walter Murch a certainement fait, à quelques détails près, le film qu'il voulait, beaucoup plus proche de l'esprit de L. Frank Baum, plus critique de la société américaine et plus ouvertement psychanalytique que son prétendu modèle. On est loin de la superproduction familiale en technicolor et nettement plus proche d'une version dépressive, voire horrifique, du conte.

En plus de la comparaison avec l'original, le film a probablement souffert de sa sortie en 1985, entre "L'Histoire sans fin", "Legend" et "Labyrinthe", trois films conviant l'univers fantasy et aux thématiques assez similaires, ainsi que de la concurrence d'autres films grand public plus divertissants comme "SOS Fantômes" ou "Retour vers le futur".


Il n'en reste pas moins une curiosité, beaucoup moins mauvaise qu'on ne pourrait le croire, beaucoup plus profonde surtout. Une œuvre unique, étrange, un peu bancale mais tout de même... extraordinaire.

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le 26 févr. 2024

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