L'exemple du film qu'on était parti pour adorer. L'affiche hideuse ne nous aura même pas fait fuir, celle de Tomorrowland s'étant montrée encore plus laide cette année, au détriment de ce qui reste un des meilleurs films pour gosses récents. Tout comme le nom de Brad Bird pouvait inciter à aller voir cette production familiale, celui de Joe Wright invite à découvrir cette nouvelle version de Peter Pan. Car avec le metteur en scène de Reviens-moi aux commandes, ce prequel serait forcément mieux que la version de 2004. T'as qu'à croire...


Le logo en noir & blanc de Warner Bros., qui vient se fondre dans un ciel nocturne en couleurs, a de quoi rassurer : ce genre de choses est rarement le fruit du hasard, a fortiori pour un film se situant avant les aventures de Peter Pan telles qu'on les connaît mais profitant des dernières avancées techniques. On ne va pas vous faire le coup du cinéaste aux bonnes intentions qui s'est fait broyer par la machine hollywoodienne, l'ami Joe Wright ayant déjà tâté du film de studio. Pour ce qui est du conte, son mésestimé Hanna mélangeait l'univers des frères Grimm à un cadre de road-movie européen, l'interprétation du trio Saoirse Roan/Eric Bana/Cate Blanchett ajoutant du charme à cette production atypique, balancée chez nous en plein été avec une affiche passe-partout.


Néanmoins, le très intéressant commentaire audio du cinéaste au sujet de ce dernier film confirme qu'il était un bon candidat pour se frotter une bonne fois pour toutes au merveilleux, le cinéaste expliquant avoir "triché" avec quelques points de montage pour donner l'impression que son héroïne se déplaçait à une vitesse surhumaine. Mais le contraste entre le logo Warner et l'image qui ouvre Pan, après vision, sonne moins comme une note d'intention que comme un signal d'alarme. Car il y a bien un projet qui se dessine entre les lignes de ce désastre, celui d'un film d'aventures à la fois généreux et conscient de son héritage. Sur ce point, bien que la première demi-heure souffre déjà de quelques lourdeurs, elle plonge dans un contexte de Seconde guerre mondiale au point d'organiser une poursuite entre un navire volant et des avions de chasse, quand Joe Wright ne filme pas la chute d'un obus depuis le bombardier, en une réminiscence directe de L'Echine du Diable (c'était voulu ou non, mais l'histoire débutant dans un orphelinat, le clin d'oeil est inévitable).


Pour être franc, cet embryon de résonance thématique fait même oublier des personnages de nonnes à faire passer celles du Couvent de Mike Mendez pour des clones de soeur Sourire. Bien entendu, l'archétype et le conte ne sont pas incompatibles, loin s'en faut. En revanche, la caricature est le pire ennemi de la crédibilité dans un contexte aussi précis. N'exhalant aucun sentiment de danger ni d'urgence, Pan se rabat d'entrée sur l'opposition entre une matrone obèse et ricanante et des mômes au jeu à peu près aussi limité que leurs dialogues (deux tares qui contaminent et pourrissent jusqu'aux seconds rôles). Warner ne s'étant semble-t-il toujours pas remise de l'arrêt de sa franchise la plus juteuse, l'affiche de Pan mentionne bien que ses producteurs sont aussi ceux de Harry Potter. Soit, oublions que les franchises possèdent des points de vue différents dans leur rapport au réel, l'argument se tient sur le plan marketing.


L'ennui, c'est qu'à trop vouloir arrondir les angles Joe Wright salope à peu près toute tentative d'immersion. N'ayant visiblement pas compris que film pour enfants et film écrit par un enfant ne signifient pas la même chose, notre homme tente de raccorder les wagons entre Harry Potter (la magie comme pilier fondateur de l'univers dépeint, un enfant-héros en quête de vérité sur ses parents, les frontières d'une école/mine de travaux forcés) et...Pirates des Caraïbes. Comme si l'imagerie du conte originel ou de l'adaptation Disney n'étaient pas suffisantes, Joe Wright tente une greffe sincèrement atroce pour le spectateur contraint d'assister à l'opération. Ainsi, Pan récupère le pire de la franchise Jack Sparrow afin de noyer le poisson, et nous assène un nombre incalculable de comédiens qui grimacent, surjouent et gigotent en tous sens, livrés à eux-mêmes et à un humour pas possible dans des décors franchement hideux. Des décors d'ailleurs peu aidés par une palette de couleurs relativement terne ; seule exception, la partie avec les indiens où l'on trouve même une belle idée, les défunts disparaissant dans un nuage de fumée bariolé.


Entre la photo qui se laisse mourir, un gosse que l'écriture peine à mettre en valeur et un univers visuel incapable de diviser, d'harmoniser ses différentes strates, Pan a tôt fait de resssembler au pâté indigeste qu'il est bel et bien. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, le tout profite d'une direction d'acteurs approuvée par Shirley et Dino : Rooney Mara s'emmerde sans répit, Hugh Jackman cabotine plus qu'un Martin Lawrence des grands jours (rares sont les fois où le jeu d'un acteur donne un tel sentiment de solitude), et le personnage de Mouche donne, au choix, des envies de meurtre quand il la boucle et un puissant désir de génocide à la moindre réplique. Il faut dire qu'avec sa tronche en retard, ses blagues à faire pendre un stagiaire de Kev Adams et ses lunettes rondes en plastique Prisunic, on aimerait en faire le Jar-Jar Binks du film. Malheureusement, il a parfaitement sa place au sein du naufrage.


Bien sûr, on pourra toujours donner l'argument du film pour gosses, mettre en cause l'âge avancé du public mécontent. Là encore, admettons, mais il faudrait dans ce cas nous expliquer comment Joe Wright a pu approuver, filmer et monter un travail aussi vain et laisser ses comédiens s'auto-parodier dans une double réplique finale qui fait croire à un gag avant que l'on réalise, horrifié, que l'échange amoureux était à prendre au premier degré. Authentique cauchemar pour votre serviteur (voir des comédiens gesticuler dans le vide est une de mes hantises cinéphiles), Pan scelle son tombeau avec une symbolique christique de bas étage, la statue immaculée de Marie dans une pièce crade guidant deux gosses jusqu'à une réserve alimentaire. Plus loin, une réplique nous rappelle que notre petit héros est "le fils de Marie", sa génitrice partageant son patronyme avec celle du petit Jésus.


Enfin, comme tout film ronge-tête qui se respecte, Pan fait miroiter un élément spécifique pour mieux nous asséner une ultime douche froide : ici, un royaume des fées où ces dernières se résument à une armée de lens flares bien vite aux ordres de leur petit prophète, pendant que se déroule un climax à peu près aussi impliquant que celui du dernier 300. Après l'embarrassante arrivée au Pays imaginaire où les esclaves chantent du Nirvana en l'honneur d'un maître des lieux qui prend des poses de rock star, il faut dire qu'on était plus à ça près niveau modernisation à la masse. Signe que Wright est en plein coma éthylique, le bonhomme ne gratifie même pas ce travail de son habituel plan-séquence-signature. Bien entendu, il n'aurait pas suffi d'un passage en temps réel pour sauver Pan de sa nullité manifeste, mais quand on en vient à traquer désespérément la griffe d'un metteur en scène pour tromper l'embarras, la facture est effectivement salée.


"I don't believe in bedtime stories", dit Peter à sa nemesis. Dans ces conditions, nous non plus.

Fritz_the_Cat
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le 23 oct. 2015

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Fritz_the_Cat

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