Pour son second film, Jerry Schatzberg se fait observateur avisé de son temps et filme la jeunesse américaine délabrée des 70's, celle qui se perd dans l'enfer urbain comme dans les paradis artificiels, afin de mieux évoquer une société malade, dépouillée de ses dernières utopies. The Panic in Needle Park correspond au constat d'échec de toute une génération, celle qui disait non à la guerre et oui à Woodstock, et pour qui la contre-culture est désormais un rêve à oublier à tout prix même si pour cela elle doit en crever. Le titre, d'ailleurs, l'évoque très bien puisque « Needle Park » renvoie au lieu d'approvisionnement des héroïnomanes ; quant à la « panique », elle correspond bien sûr à la phase de la descente au cours de laquelle les effets de la drogue s'estompent et la réalité apparaît d'autant plus cafardeuse.


On comprend alors que l'intérêt du film réside moins dans l'originalité de son sujet que dans son approche naturaliste : T*he Panic in Needle Park*, en effet, compile tous les passages obligés liés à l'univers de la drogue (dépendance, trafic, prison, prostitution) et serait finalement assez peu intéressant si Schatzberg n'avait pas tenté de retranscrire à l'image le cauchemar éveillé du camé, l'indicible sentiment de détresse qui gagne une génération au sommet de sa désillusion.


Cette réalité, il faut la montrer, l'exhiber, pour faire réagir, interpeller, provoquer. Pour ce faire, Schatzberg emboîte le pas aux cinéastes du Nouvel Hollywood et filme une Amérique sans fard, bien loin des clichés romantiques, dans laquelle les grands espaces sauvages ont été englouti par la jungle urbaine et les héros d'hier ont laissé place aux drogués et aux prostituées. Proche du documentaire, The Panic in Needle Park évoque la désillusion la plus totale en s'attardant longuement sur les gestes ou rituels du toxicomane, sur les séquences de shoot notamment, afin de faire correspondre souffrance physique (cette peau que l'on transperce, ce corps que l'on viol...) et mentale (les silhouettes qui s'affaissent, les regards qui s'éteignent...).


D'un cinéaste comme Jerry Schatzberg, photographe de mode de profession, on pouvait craindre une démarche essentiellement esthétique ou une approche superficielle du sujet, fort heureusement il n'en sera rien, notre homme se distinguant même par son sens de l'analogie : la descente du camé devient la déchéance d'une génération qui a cru longtemps au mirage du flower power.


D'une manière très crue, il nous montre alors ces corps en souffrance qui n'en finissent plus de se détruire : shoot, crise de manque, overdose, etc. Des passages qui pourraient être aussi insistant qu'indécent si la mise en scène n'était pas aussi pudique (approche documentaire, absence de musique, primauté faite au silence) et la prestation des acteurs aussi juste (le jeune Pacino bien sûr, mais surtout Kitty Winn au jeu intériorisé et intense).


Le plus passionnant avec The Panic in Needle Park, c'est que le film dans son ensemble est traversé par ce mouvement descendant, comme si les personnages étaient inéluctablement attirés vers le bas, comme si la dépression était inévitable, comme si toutes tentatives entreprises pour éviter le naufrage étaient vouées à l'échec : la solidarité est illusoire (on donne ses amis à la police, on profite de la situation de détresse pour obtenir des faveurs sexuelles...), l'amour est illusoire (Bobby accepte de vendre Helen pour pouvoir se payer sa drogue, ils se disputent pour une dose...), la fuite même est illusoire (remarquable séquence campagnarde, tranchant avec l'univers urbain hostile, et qui ne tient pas sa promesse d'une autre vie)... C'est le cercle vicieux de la dépendance à la drogue qui se trouve retranscrit à l'écran, mais aussi le désespoir d'une génération qui n'a plus aucun rêve à rêver : l'utopie prônée par le mouvement hippie n'est plus, elle a été remplacée par des produits chimiques et leurs mirages artificiels...


Non exempt de tout reproche, notamment concernant la narration et le rythme, The Panic in Needle Park parvient néanmoins à éviter les pièges les plus prévisibles (pathos, complaisance) pour prendre le pouls d'une époque en crise, pour saisir avec force le déclin de toute une génération.

Créée

le 15 mars 2022

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Procol Harum

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