Personne n'est jamais prêt pour Paranoid Park...

Portland n’a pas encore fini de nous bercer dans le cinéma indépendant. On commence à en avoir l’habitude avec Gus Van Sant. Mais sachant si bien la filmer, il aurait tous les torts de s’en priver. Paranoid Park arrive en 2007 juste après une formidable trilogie. Pour bien des raisons, il est donc difficile de faire aussi fort. C’est d’ailleurs ce qui vaut à Paranoid Park d’être catalogué comme un petit film, un film mineur, presque une récréation. Pourtant, il n’est en rien inférieur à ses prédécesseurs. S’il épouse la forme artistique d’Elephant, Paranoid Park en est presque le diamétral opposé mais qui s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’œuvre du cinéaste qui, en adaptant le roman de Blake Nelson, nous emmène à nouveau au cœur de l’adolescence, là où tout est si fragile, si pur. Et peut-être encore plus qu’auparavant, Gus Van Sant ose sonder les maux de l’âme, capter les pensées, les émotions, les faire jaillir dans ses plans, les mettre en musique. Comme toujours, l’intrigue du film est très simple, elle se résumé en deux lignes. Cinéaste minimaliste, Van Sant s’en tient à la mise en scène, inutile d’avoir un scénario rocambolesque pour faire un film, il n‘est pas même fondamental d‘avoir quelque chose à dire ou à raconter. Montrer, juste montrer et plus rien n‘a d‘importance. Et pour son personnage, qu’est-ce qui est important ? Rien. Bien au-delà de la culpabilité et de la peur, Alex marque surtout par son détachement au monde réel. Gus Van Sant a réalisé quelque chose de miraculeux avec ces jeunes acteurs dénichés sur MySpace. Parce qu’ils sont aussi vrais que nature, on s’identifie, on comprend, on entre dedans. On fait corps avec Alex, interprété à la perfection par un Gabriel Nevins saisissant. Par son regard perdu, ses errances de l’esprit, son isolement, il impressionne. Il faut dire aussi que le réalisateur arrive à capter ces moments avec une rare maîtrise en variant les plans (gros plans, travellings de dos…). Définitivement, cette scène de douche dégage quand même quelque chose de très fort. Les éclairages, les contrastes, l’eau qui s’écoule le long de ses cheveux comme des larmes, le cri lointain des oiseaux… Quand on parle mise en scène, Gus Van Sant est là, le film se tient comme un bloc de vérité. Les ralentis, les travellings, les plans séquences, les scènes de skate en Super 8, la musique atmosphérique… Pas besoin d’un long discours, ici, l’image se suffit à elle-même. Si besoin est, la musique vient la façonner. Les silences disent tout. Le cinéaste nous promène le long d’un chemin dont il ne connaît pas la destination jusqu’à ce petit feu final pour brûler les souvenirs, passer à autre chose où l‘on entend Elliott Smith fredonner Angeles. La vie continue ? Peut-être. Certainement. Et au contact de cet esprit tourmenté et déphasé, de ce besoin vital d‘affection, on est comme happé. Tourbillon d’émotions qui délie les certitudes et sublime l’acné, Paranoid Park est une merveille d‘intimité, une expérience forte. Et toujours un peu plus, Gus Van Sant plane sur le cinéma comme la beauté plane sur son film. L’un des plus beaux films sur l’adolescence.
Vino
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 Films

Créée

le 2 mai 2014

Critique lue 295 fois

2 j'aime

Vino

Écrit par

Critique lue 295 fois

2

D'autres avis sur Paranoid Park

Paranoid Park
Heisenberg
7

Innocence

Primé à Cannes, j'avoue être allé à reculons devant le film surtout après l'expérience ou plutôt les expériences — car il s'agit de deux choses très différentes — mitigées que furent Gerry et...

le 1 nov. 2011

28 j'aime

4

Paranoid Park
Lubrice
3

Critique de Paranoid Park par Brice B

Des films de Gus Van Sant, on pourrait tirer un précepte toujours appliquable : c'est quitte ou double ! Empruntant ça et là ses ingrédients préférés (on notera une accroche récurrente avec...

le 13 nov. 2010

20 j'aime

1

Paranoid Park
EricDebarnot
8

Le meilleur du cinéma moderne

Et si "Paranoid Park" illustrait ce qu'il y a de meilleur dans le cinéma "moderne", aujourd'hui, près de 40 ans avant que ce concept soit né puis mort sous les coups du cinéma de divertissement ? Une...

le 22 avr. 2017

15 j'aime

Du même critique

Pontypool
Vino
4

L'éloquence du zombie, un pari manqué pour le septième art...

Les zombies débarquent au Canada avec ce Pontypool. Sous-genre du cinéma d’horreur, le film de zombies a développé sa popularité avec quelques grands cinéastes et films qui sont aujourd’hui...

Par

le 2 mai 2014

5 j'aime

Paris, Texas
Vino
10

And when the lights went down, I fell in love... To eternity.

Paris, Texas… Comment parler de ce film ? Comment lui associer des mots capables de lui rendre ce qu’il a pu m’apporter ? Difficile. Paris, Texas est un miracle, un miracle du cinéma. Je n’ai pas...

Par

le 2 mai 2014

4 j'aime

Bully
Vino
4

Dans la vie, y'a deux types de gens : ceux qui savent compter... et les ados de Larry Clark

Comme bien d’autres cinéastes, Larry Clark est un de ces artistes qui traite souvent d’un seul et même thème avec des sujets plus ou moins différents. Les connexions entre ses films sont évidentes et...

Par

le 2 mai 2014

4 j'aime