Les premières séquences suffisent à susciter un net intérêt, que je situerais entre le semi-documentaire et le regard social. Ces gueules d'adolescents, ces pulls en laine, ces situations familiales : pas de doute, on est en plein dans cette époque à cheval entre les années 70 et 80. C'est précisément le cadre temporel de la génération de mes parents et si je suis géographiquement assez peu proche de ces régions nordistes, "Passe ton bac d'abord" revêt une perspicacité incroyable à mes yeux. De bac, d'ailleurs, il ne sera pas beaucoup question. Pialat, comme à son habitude, emporte sa caméra qu'on pourrait qualifier de naturaliste pour aller capter le vent de l'adolescence paumée.


Initialement, le cadre peut déranger. Cette direction d'acteur si particulière (des non-professionnels pour beaucoup, j'imagine), cette crudité dans le regard à la lisière du documentaire, les zones d'inconfort sont nombreuses. Mais à mesure que cette ambiance se tisse, la familiarisation se fait et permet d'apprécier la proposition de manière plus détendue. Souvent, on ne sait pas s'il faut trouver ça drôle ou dramatique. Les élans et les tonalités sont très nombreux, entre les sentiments amoureux, les rapports conflictuels avec les parents, la tutelle d'un prof de philo, etc. Ce tissu social sert de démonstration pour Pialat, sans que cela ne soit trop démonstratif, pour illustrer une forme de reproduction de schémas. On est comme enfermé dans des cycles, de violence, d'ignorance, de mépris. La bêtise des parents réactionnaires est un magnifique exemple de cela, archétype d'un discours sur l'âge d'or de la génération précédente qui reste invariable au cours du temps. De manière plus comique, il y a le discours du prof, qui se veut informel et presque amical, qui reste le même d'une année à l'autre. Entre l'introduction et la conclusion, une année est passée mais pas grand-chose n'a changé.


Pialat sert presque une chronique des errances du secondaire, avec beaucoup de tendresse mais sans pour autant verser dans une complaisance aveugle ou niaise. Il y a une forme de "niveau moyen" qui se ressent à tous les niveaux : des gens, enfants et parents, ni pauvres, ni riches, ni idiots ni brillants. La grisaille de la moyenne. Ils gravitent tous dans un univers morose et informe, avec le chômage, l'école, l'émancipation, le mariage. C'est d'une certaine authenticité touchante, en évoluant d'une famille à l'autre sans jamais se fixer nulle-part, en délivrant une forme de désespoir tranquille, une survie résignée. Et dans cette redondance cyclique témoignant une forme de déterminisme social et territorial, comme le dit le prof de philo au sujet de la nécessité de désapprendre et de la prof de gym qui hurle "démarquez-vous !", on sent comme un appel à faire table rase du passé.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Passe-ton-bac-d-abord-de-Maurice-Pialat-1978

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le 26 avr. 2020

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Morrinson

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