S’emparer de la légende, et lui donner les marbrures du Requiem : tel est le projet de Peckinpah dans cette nouvelle version du célèbre duo fratricide de l’Ouest.
Là où l’unité temporelle était plus resserrée et dans l’urgence d’un débordement qu’on pouvait attribuer à l’indomptable jeunesse de Bill dans Le Gaucher de Penn en 1958, cette version porte en elle les stigmates des 70’s naissantes : l’Amérique évolue, et si elle se regarde en face, doit changer les chromos de sa mythologie.
“It feels like…times have changed”, déclare Pat Garrett, expliquant notamment son changement de camps : du compagnon de virée de Bill, il est devenu Shérif. Mature, politique, pragmatique, aux mains des puissants dont il conteste les excès, mais tout en restant lucide sur lequel des bords lui garantit le plus de chance de survie.
“Times, maybe. Not me”, lui répond Bill : l’intégrité dans le crime, la figure libre du rebelle à cheval, refusant, souvent à raison, que les territoires se civilisent si c’est pour en faire un terrain capitaliste aussi vérolé, qui légitiment une nouvelle forme de criminels à cols blancs.
Le regard pessimiste de Peckinpah, déjà mis en place dans La Horde Sauvage, reste en vigueur : même considération de la violence, même fatalisme sur la victoire des plus bas instincts, même regard fugace mais évocateur sur les enfants, qui ici jouent avec un nœud coulant.
La différence réside ici dans son traitement plus intime des personnages, qu’il avait déjà expérimenté avec Cable Hogue : le duo éponyme, son rapport au temps, l’inéluctable fatalité de leurs retrouvailles irrigue le film d’une mélancolie nouvelle, et profondément touchante.
Sans doute les chansons de Dylan, qui joue un rôle aussi mutique que poétique, contribuent-elles à cette atmosphère.
Les terres civilisées sont le terrain d’un adieu constant, dès la séquence d’ouverture qui annonce, en anticipation, la mort d’un des protagonistes : on le voit dans cette lutte pour la possession, dans le massacre des paysans, ou cette superbe scène de tuerie et la façon dont l’épouse y prend part, ne pouvant exprimer son amour que par les armes.
C’est la lenteur qui prime : la fureur, si souvent protagoniste des films de Peckinpah, ne délaisse certes pas le récit, mais elle se feutre par la noire douceur du renoncement : celui d’un homme condamné à poursuivre celui qui fut son ami, celui d’un homme dont la liberté est un arrêt de mort. Chacun a ses raisons, chacun fait ses erreurs.
“This country is getting old and I want to get old in it. But the Kid doesn’t want it that way.”
L’un comme l’autre ne pourra mener son idéal à terme.
Parler n’a pas d’intérêt : il suffit de suivre le chemin, à travers la lande, qui nous mènera vers notre destin : la dernière séquence parvient, par un sens de l’équilibre rare, à combiner affrontement et respect, tendresse et fatalité : parce qu’on doit bien aller au bout de sa mission, et parce que le monde et sa furie indifférente toque aussi à la porte. Qu’au moins, la chose soit faite avec humanité, semble penser le personnage campé par un Coburn, comme toujours, impérial.
Le double épilogue dit le panache d’un héros d’un autre temps : s’il est parvenu à clore sa quête avec humanité, celle-ci ne la reconnaîtra pas : c’est un départ vers l’horizon sous un jet de pierres, et l’image figée à jamais d’une chute mortelle à terre. La main reste encore à l’écran alors que le générique défile : dans ce requiem désabusé, même la sépulture est dénuée de dignité. Seul le spectateur saura, par son émotion, accompagner ces morts des hommages qu’elles méritent.