Patchwork
6
Patchwork

Film de Tyler MacIntyre (2015)

Patchwork est un film qui a clairement joui de sa première mondiale au Festival Screamfest 2015. Sélectionné en compétition officielle, le film a obtenu trois prix importants: Meilleur montage, meilleure actrice pour Tory Stolper et surtout, le prix du Meilleur film.
Ce métrage hybride tire son inspiration de plusieurs autres films d'horreur légendaires, notamment The Bride of Frankenstein, Frankenhooker et surtout Re-Animator. Les spectateurs les plus assidus y reconnaîtront également certaines influences hors du cinéma horrifique, comme celle du film All of Me de Carl Reiner.


Sur-ce, allons jeter un coup d’œil du côté du synopsis:


Trois femmes très différentes, Jennifer (Tory Stolper), Ellie (Tracey Fairaway) et Madeleine (Maria Blasucci) passent une soirée tranquille dans un bar, sans se douter que leur vie va tout bientôt basculer dans l’horreur. En effet, les choses dégénèrent au moment où les trois jeunes femmes se font kidnapper sans raison apparente, le lendemain matin, on découvre qu’elles ont été tuées, démembrées et que certains de leur restes ont étés recousus ensemble afin d’assembler ce qui semble devoir être la femelle parfaite. La particularité de ce monstre de Frankenstein moderne est que chacune des trois victimes garde le contrôle sur ses propres morceaux et que leurs trois consciences partagent le même cerveau, elles connaissent ainsi en permanence les pensées les plus intimes des autres membres de ce "trinôme". En tant que personne unique, elles sont maintenant connues sous le nom de "Stitch". Après avoir conclu un accord sur la façon de contrôler ce corps abritant trois consciences (et également pris la décision de dissimuler adéquatement leur horrible défiguration), elles entreprennent une quête de vengeance, qui consistera à découvrir qui sont les personnes responsables de leur situation et pourquoi ce sort horrible leur a été réservé…


Malgré ce prémisse macabre, il s’agit clairement d’une comédie horrifique. C’est sur ce point précis que l’on pourra tisser un fort lien avec le film All of Me. Il faut savoir que le personnage de Stitch est joué par l’actrice Tory Stolper. Sa performance est digne de comparaison avec celle de Steve Martin dans le film de Carl Reiner, qui développait un comique vraiment authentique et hilarant, tout en nous gratifiant d’une performance physique complexe, dans ce rôle d’un homme se retrouvant avec l’esprit d’une autre personne à l'intérieur de son corps. Stolper quand à elle, doit composer trois rôles à la fois, celui de son propre personnage, mais également les personnalités des deux autres femmes rattachées à elle. De ce point de vue-là, il n'est pas étonnant que cette actrice ait remporté un prix, tant sa prestation est juste sur tous les niveaux.


On notera également une certaine ressemblance avec Evil Dead 2 dans un registre de comique purement slapstick, le film changeant souvent de perspective, passant d’une personnalité à l’autre, le fait de voir la créature parler à elle-même, discuter ou répondre à ses propres questions est une précieuse source de gags souvent hilarants. Stolper développe un jeu expressif, semblable à la lutte de Bruce Campbell avec sa main maléfique. Un parti-pris quelque peu désorientant au départ est également à signaler, il consiste à tisser une interaction psychologique continue entre les trois personnages féminins, en plus de leur connexion physique, les trois femmes sont de ce fait en relation constante les unes aux autres, comme présentes à la fois dans une dimension parallèle au monde physique. C’est un choix de narration qui nécessite un certain temps d’acclimatation pour s’y habituer, mais fort est de constater que cela fonctionne et ajoute une autre perspective au thème de l’enfermement de trois personnes dans un même corps.


Bien que la performance de Tory Stolper "mange" littéralement l’écran, on ne peut nier que les trois actrices principales offrent des performances étonnantes. Leur vie nous est présentée à travers de nombreux flash-back, qui fournissent un terreau fertile pour développer leur personnalité et augmenter leur capital sympathie. Le personnage d’Ellie, joué par Tracey Fairaway, est une blonde typique dans son physique, mais développe une psychologie intéressante montrant une femme dans le besoin et solitaire. Elle n'a absolument pas d'estime de soi, et regarder son désespoir en la voyant seule au bar a quelque chose de touchant, il s’agit peut-être du personnage le plus attachant parmi le trio de têtes d’affiches. A l’opposé, le personnage de Jennifer est d’une froideur à faire pâlir un réfrigérateur, il est plus difficile de l'aimer, mais cela donne une touche de diversité bienvenue. Quand au personnage de Madeleine, c’est une femme maladivement angoissée, dont la névrose l'empêche de rencontrer de nouvelles personnes. Dans ses grandes lignes, Patchwork est donc une histoire sur l’esprit de corps (littéralement), ou comment trois caractères complètement différents doivent travailler main dans la main pour atteindre un but commun.


Pour parler un peu plus en long de la construction scénaristique, ce film repose donc en grande partie sur des flash-back multiples expliquant comment chacune des trois femmes a été enlevée, et donnant des pistes sur l’identité de la personne responsable de ces exactions.
L'intrigue se déroule sur huit chapitres bien distincts, qui oscillent entre la quête de la créature amalgamée, et l’histoire personnelle de nos trois héroïnes, prises de façon individuelles. Certes, ces moments sont amenés de façon quelque peu abrupte et menacent sans arrêt de casser le rythme de l’intrigue, mais l’idée se révèle plus que bénéfique au final. Encore une fois, le film peut se reposer sans problème sur ses acteurs, qui font un excellent travail de développement de leurs personnages. Tyler MacIntyre et son co-scénariste Chris Lee Hill sont bien évidemment à créditer de leur côté pour leur scénario intelligent, qui n’hésite d’ailleurs pas à mêler l’horreur et la comédie avec des éléments plus intimes et tragiques. L’exemple le plus frappant étant l’espoir vain que les trois femmes entretiennent au début du film sur le fait que leur sort pourrait être inversé, et qu'elles pourront toutes goûter à nouveau à leur vie d’avant. Un espoir qui ne tardera pas à se transformer en désespoir, puis en colère. Ce qui sera le point de départ de la quête de vengeance totale et jouissive qui jalonnera le reste du film.


Patchwork est un métrage qui ne commet presque aucun faux pas. Mis à part les flash-back quelque peu dérangeants mentionnées précédemment, le film aurait pu être bien plus désagréable dans l'aspect "Vigilante Movie" que ce à quoi nous avons affaire au final. Certes, on notera ça et là quelques moments maladroits, mais l’ensemble reste suffisamment harmonieux, avec un équilibre très réussi entre horreur et comédie. Le réalisateur aurait également pu tomber dans la piège de l’hommage trop appuyé ou de la sur-référence, mais même de ce côté-là, une certaine retenue est à noter, bien qu’on ne puisse s’empêcher de remarquer certains plans parfois inutiles, notamment une scène impliquant un chat, qui, bien que très drôle et intelligemment mise en scène, n’a strictement aucun intérêt scénaristique, si ce n’est de faire un clin d'œil au chat de Re-Animator, peut-être?


Le problème majeur de ce film est un sentiment de redondance qui se fait ressentir dans les séquences présentées, même si l’extrême violence et le gore omniprésent sont de bonne augure pour générer un mélange de malaise permanent et d’amusement chez le spectateur, il manque peut-être quelques scènes vraiment mémorables pour faire de ce film une œuvre réellement aboutie. Pour être clair, c’est un film sur lequel il y a beaucoup à dire, à tous les niveaux, mais à qui il manque ce petit plus qui le hisserait dans la catégorie des films vraiment inoubliables, bien que l’on soit tout de même devant une bonne pièce de cinéma sanglant et sans concession, qui vaut largement la peine d’y consacrer une heure et demie de sa vie.


Il est à noter que Patchwork était à l’origine un projet de court-métrage, qui s’est vu "élargir" pour notre plus grand bonheur. Contrairement à d'autres films subissant ce traitement, on ne ressent aucune impression de longueur, ou, à l’inverse, de trop courte durée, l'histoire est parfaitement développée dans l’ensemble. La structure scénaristique aidant également à développer un rythme constant qui tient le spectateur en haleine. Inutile toutefois de s’attendre à une intrigue à tiroir inutilement compliquée, il s’agit d’avantage d’un film de personnages que d’une histoire basée sur des rebondissements incessants, en somme, passez votre chemin si vous attendez une énorme révélation finale.


Dans les grandes lignes, Patchwork est un vrai régal. Le genre de petit film en forme de bonbon qui se laisse déguster en laissant un goût sucré. Porté par une direction d’acteur, une écriture et une mise en scène tout bonnement parfaites. L'humour y est en parfaite osmose avec l’horreur, les excellents maquillages et effets visuels n’y étant certainement pas pour rien. Les sadiques y trouveront autant leur compte que les personnes désirant juste passer un bon moment de cinéma, principalement grâce à cette relecture du monstre de Frankenstein développant une brutalité à faire peur, mais n’oubliant jamais son statut de comédie pour autant. Tyler MacIntyre a réussi l’exploit de reprendre le classique de Mary Shelley et de le peaufiner à sa guise, en offrant quelque chose de nouveau à son public.


En somme, un film divertissant, drôle, tordu et original, qui n’hésite pas à jouer avec son spectateur en cassant quelque peu le mythe originel de Frankenstein. Le film de MacIntyre pourrait presque faire figure de Re-Animator moderne pour toute une nouvelle génération d’amateurs du genre. Bien que n’étant pas aussi abouti que ce classique de l’horreur, Patchwork mérite clairement d'être reconnu comme l'un des meilleurs films de genre des dernières années, et avec le temps, il se pourrait bien qu’il devienne un vrai film culte, à l’instar des œuvres auxquelles il rend hommage.


Pour conclure, citons simplement cette réplique qui passera sans doute dans la postérité:


"Release the owl-cat".

Schwitz
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 11 févr. 2017

Critique lue 600 fois

2 j'aime

Schwitz

Écrit par

Critique lue 600 fois

2

D'autres avis sur Patchwork

Patchwork
Fatpooper
6

Frankenbitches

Amusant ce film. Et puis c'est chouette de constater que j'ai des goûts en commun avec le réal (Stuart Gordon et Hennenlotter). L'intrigue n'est pas particulièrement originale puisqu'il s'agit...

le 11 nov. 2017

2 j'aime

Patchwork
Lula15
9

Tyler Maclntyre, une réalisateur à suivre.

Un vent de folie s'est abattu sur l'univers des morts- vivants. Mais ne craignez rien, c'est une très bonne nouvelle. En attendant de pouvoir découvrir le nouveau film de Tyler Maclntyre, Tragedy...

le 24 mars 2018

2 j'aime

Patchwork
Schwitz
8

Critique de Patchwork par Schwitz

Patchwork est un film qui a clairement joui de sa première mondiale au Festival Screamfest 2015. Sélectionné en compétition officielle, le film a obtenu trois prix importants: Meilleur montage,...

le 11 févr. 2017

2 j'aime

Du même critique

L'Année de tous les dangers
Schwitz
8

Critique de L'Année de tous les dangers par Schwitz

L'impuissance de l'observateur passif, et de ceux qui ne possèdent pas le pouvoir, tel est le sujet cliniquement disséqué dans ce drame à la puissance évocatrice impressionnante signé Peter Weir...

le 13 mai 2017

5 j'aime

La Foire des Ténèbres
Schwitz
7

Critique de La Foire des Ténèbres par Schwitz

Something Wicked This Way Comes est un film produit durant une période bien précise dans l’histoire de Walt Disney Pictures, située entre la fin des années 70 et le début des années 80, une période...

le 13 mai 2017

5 j'aime

1

Les zombies font du ski
Schwitz
6

Critique de Les zombies font du ski par Schwitz

A travers l'histoire, le mythe du zombie fut traité de bien des manières, que ce soit dans les romans graphiques, le jeu vidéo, le cinéma, ou encore la télévision. Si la plupart des puristes amateurs...

le 16 juil. 2017

4 j'aime

2