Paterson s'inscrit parfaitement dans la filmographie de Jim Jarmusch, son style étant ici reconnaissable au premier coup d'œil. C'est même l'un de ses meilleurs films, du moins parmi ceux que j'ai vus jusqu'à présent, avec Ghost Dog et Dead Man. Je n'ai pas tout de suite réalisé à quel point ce film allait me hanter des jours durant après l'avoir vu, mais il a réellement eu un très fort impact sur moi. Paterson est un film qui vous apporte un bien-être et un sentiment de plénitude immédiat. Ensuite les jours suivants, ce sentiment a fait écho en moi et s'est installé durablement.

Le quotidien de Paterson (Adam Driver) est si anti-spectaculaire, si calibré et si répétitive, qu'on peut facilement se dire qu'il n'est pas possible de s'en satisfaire, d'autant plus quand on a l'âme d'un poète comme lui. Et puis vous avez sa compagne Laura (Golshifteh Farahani) qui nous offre le parfait contraste de Paterson. C'est une femme au foyer enthousiaste, bouillonnante de créativité et très attachée à son bouledogue, au plus grand désespoir de Paterson qui déteste son chien (et réciproquement). On peut alors légitimement se poser la question suivante, Paterson est-il vraiment heureux ? Mais pour moi, le sujet du film c'est surtout la confrontation de deux artistes, ou plutôt de deux perceptions/approches de l'artiste.

Vous avez la perception de l'artiste selon Paterson, qui lui-même ne se considère pas comme un vrai artiste. Il aime écrire de la poésie, c'est même une des choses qu'il aime le plus, mais il ne se considère pas lui même comme un artiste et ceci malgré son talent. Il aime la vie et il aime écouter les gens. Il voit le beau partout autour de lui, même là ou il n'est pas évident. J'ai trouvé ça très touchant, lorsque Paterson s'arrête pour parler de poésie avec la petite fille. On sent qu'il est bouleversé par le poème de la petite fille et que ce moment est un véritable cadeau pour lui. C'est d’ailleurs pour cette raison que par la suite il le récitera à Laura, parce qu'il a aimé ce poème, tout autant qu'il a aimé cet échange. Il regarde tout autour de lui par le prisme du beau qu'il peut voir et/ou en tirer. Pour lui, la poésie est une composante essentielle de son quotidien. Tout se joue dans la conception qu'il a de lui même. A mes yeux, il n’est pas "un chauffeur de bus qui se rêve poète", mais un chauffeur de bus qui aime écriture de la poésie, la nuance est importante. Et surtout, ce désintéressement du statut d'artiste, fait de lui quelqu'un de foncièrement pur dans son art, en plus d'avoir du talent.

Et puis vous avez la perception de l'artiste selon Laura, qui est l'exact opposé de celle de Paterson. Laura se voit elle même comme une artiste et elle le dit à de multiples reprises, alors même qu'elle n'a pas autant de talent que Paterson. Elle est impulsive, se laisse aller à ses envies, est un peu perchée, voire même beaucoup perchée, dans son monde. Elle passe d'une envie à une autre, sans se soucier un seul instant de savoir si c'est cohérent et encore moins si c'est raisonnable. Enfin, elle est un peu, beaucoup, aveuglément persuadée d'être une artiste née. Elle est en fait l'idée même qu'on se fait nous tous d'un artiste. La preuve, elle ne travaille pas. Elle a fait de son quotidien entier un spot à sa créativité, alors que Paterson lui travaille et construit son art autour de son quotidien.

Entre Laura qui n'est pas foncièrement une artiste, mais qui rêve d'en être une, et Paterson qui lui est véritablement un artiste, mais qui ne se considère pas comme tel, on a en fait une vrai réflexion sur ce que signifie être un artiste. Et ce qui est extrêmement touchant, c'est à quel point les deux sont montrés avec énormément de bienveillance et avec beaucoup d'amour l'un pour l'autre. Jim Jarmuch ne semble jamais juger Laura, parce qu'il nous la montre à travers les yeux de Paterson. Il ne la juge pas et il l'aime comme elle est ... et même qu'il l'aime encore plus pour cette raison, parce qu'elle est impulsive, insouciante et pleine d'innocence.

Pour finir, un petit mot sur la fin du film qui pourrait en déconcerter plus d'un ...

A la fin du film, quand Paterson se retrouve seul et désœuvré dans le parc, après que le bouledogue de Laura ait déchiqueté son carnet, un poète Japonais en visite à New York lui demande si c'est un poète et il lui répond que non, simplement parce qu'il pense vraiment ne pas en être un. C'est alors qu'il lui offre un carnet pour l'encourager à écrire de nouveau, sans connaitre l'état psychologique de Paterson à ce moment là.

Contrairement au reste du film, cette scène est assez surréaliste, limite comme dans un rêve. Et en même temps, elle conclue merveilleusement bien le film.

Bref, Paterson est un film très précieux, parce qu'il nous montre comment on peut mettre de la poésie partout dans son quotidien. Bravo à Jim Jarmusch et à Adam Driver pour ces deux heures de poésies, d'honnêteté et de simplicité.

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le 4 déc. 2023

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lessthantod

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