Après la vague Me Too et le climat de chasse aux sorciers qui oublie volontiers la présomption d’innocence au profit du soupçon de culpabilité, être homme est décidément devenu un dur métier. Marquée par son enfance auprès d’un père abusif, Angela Ottobah ne souhaite toutefois pas tirer sur l’ambulance. Elle dresse en Joseph, incarné avec autant de conviction que possible par le toujours très prometteur Finnegan Oldfield, le portrait d’un jeune père tonique, éloigné du monstre repoussant qui se lève à l’évocation du terme de « prédateur ».

D’autant que la prédation sexuelle, si même elle existe, est plus que discrète, signalée par de menus indices à qui voudra bien les décrypter. Habile calque du cinéma sur la réalité : ne voit que celui qui le veut bien… La mainmise qui se manifeste clairement est plus large, plus vaste, d’ordre existentiel, et touche à tous les domaines : le lieu de vie, l’alimentation, l’exercice physique et intellectuel, les activités, les fréquentations… Rongé par une maladie respiratoire qui semble consumer inexorablement ses forces, Joseph, profitant de l’éloignement professionnel de sa compagne, emmène leur fille au fond des bois, sur les rives d’un lac, dans une maison coupée du monde, dont il réaménage peu à peu l’intérieur en le vidant progressivement de son contenu, en même temps qu’il soumet sa fille à des entraînements presque militaires et à une vie presque monacale.

Paula, onze ans, personnage éponyme, est jouée avec une intensité surprenante par la jolie Aline Hélan-Boudon, regard grave et souvent replié sur lui-même, comme chez une enfant qui en saurait trop pour son jeune âge. Elle sera amenée à côtoyer un homme des bois et de l’eau, dont le personnage évoluera de façon intéressante et qui nous aura permis de retrouver avec plaisir Océan, l’acteur et réalisateur du documentaire autobiographique Océan (2019), dans lequel il accompagnait son processus de franchissement du genre.

Car les bois ne seront pas les seuls à jouer un rôle à la fois de cadre et de révélateur. L’eau, sur laquelle s’ouvre le film, occupera une place essentielle, en tant qu’espace amniotique, au sein duquel la jeune héroïne puise l’apport maternel qui lui manque auprès de sa mère de chair ; un apport si puissant qu’il aura sur Paula l’effet du sol sur le géant mythologique Antée, qui voyait ses forces décuplées par le contact avec sa terre-mère, Gaïa, mais les perdait s’il était coupé de ce branchement chtonien.

Lucie Baudinaud travaille une image précise, évoluant vers les bleutés au fur et à mesure que progresse la maladie de Joseph, et sa folie, mais profitant de la turbidité de l’eau lacustre pour préserver un rouge-orangé utérin dès que Paula s’immerge dans cet élément, salvateur pour elle.

Malgré de nombreuses qualités, ce premier long-métrage de la réalisatrice et scénariste Angela Ottobah souffre de la comparaison avec l’œuvre de Gilles Marchand, Dans la forêt (2017), qui explorait une thématique très proche et installait de façon plus inquiétante et naturelle un climat toxique. Sans doute le scénario rencontre-t-il un problème de rythme, ou d’enchaînement des actions. Mais peut-être, aussi, et malgré la qualité de son jeu, Finnegan Oldfield recèle-t-il en lui une juvénilité, presque une enfance, trop fondamentales pour parvenir à se montrer pleinement convaincant dans un rôle de père.

Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/paula-film-2023-angela-ottobah-10062062/

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le 5 août 2023

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Anne Schneider

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