"Tu peux pas être né vert et dire demain j'suis violet."


Pauline nous touche dès les premières minutes. Pauline s'engueule, Pauline rit, Pauline pleure, Pauline parle, Pauline se construit. La question qu'on peut se poser est : comment un documentaire peut-il rendre si humains et attachants des gens dont la vie n'est pas si différente de la notre, et qui sont ne sont pas montrés sous leur meilleur jour – juste sous tous les jours, on imagine. Depuis un moment déjà, la télévision se charge de rentrer chez les gens, de les suivre dans des moments peu commodes, de faire de leurs faiblesses le sujet d'une émission. Pourquoi ce film alors serait-il différent de Confession intime ?
C'est qu'il n'y a pas de voyeurisme avec la caméra d'Emilie Brisavoine, pas de volonté de montrer des monstres de foire pour faire relativiser le spectateur sur sa propre vie. Pourtant, les éléments sont là, des sujets piquants : la mère plus âgée que le père, le père fils de deux adolescents, des enfants qui quittent très tôt le foyer familial, une rupture amoureuse en direct, le père travlo en plus de ça ! Un menu assez chargé pour un seul portrait familial. Mais on ressent la présence de la réalisatrice (qui s'exprime oralement que très rarement), son point de vue nous intègre dans cette famille ; nous ne sommes plus spectateurs, nous sommes des confidents. La caméra devient thérapeutique ; Pauline se confie, comprend des choses, comprend qui elle est. Et c'est réjouissant à voir. Cette personne si simple, à un age où tout change, qui comprend qui elle est.


« J'comprends trop d'trucs ! J'ai l'impression d'avoir trouvé l'énigme ! Mon cerveau a chié ! Il était constipé depuis des années ! »


Quel privilège d'avoir accès à ces moments si intenses où l'on comprend pourquoi on est ce qu'on est, et notre rapport aux autres. Ce moment si précieux est immortalisé ici, par Pauline, mais ç’aurait pu être n'importe qui. Nous par exemple. Voilà aussi en quoi ce film est si intéressant. Il y a des films, des films très personnels, qui parlent de soi, mais qui sont trop centrés sur eux-mêmes pour penser à nous parler, à communiquer avec le spectateur. Ici c'est l'inverse, paradoxalement. On ne peut imaginer film plus personnel qu'un film fait par la demie-sœur du personnage personnel, avec aucun acteurs, juste sa famille comme personnages, des problématiques uniquement liées à la famille en question, des images d'archives très intimes, des moyens très restreints… Pourtant le film nous touche, car cette famille est irremplaçable, comme toutes les familles, mais les questions que se pose Pauline, ce qu'elle vie, c'est ce que tout le monde vit ou a vécu (pour toute personne ayant comme priorité d'un soir d'aller dépenser quelques euros dans un cinéma d'art et d'essais)
Au delà ce cette humanité, on ne peut passer à côté de toutes les réflexions sur le cinéma, sur la vidéo, sur l'image de soi. Le film est, dans l'absolu, un documentaire, puisqu'il n'y a pas d'acteurs et que le scénario s'est fait à partir des rushs et non l'inverse. Pourtant, on a bien l'impression d'assister à une fiction. Même si l'on a affaire à du méta-cinéma (dialogues avec la réalisatrice, dialogues sur la présence de la caméra, présence assumée des éléments techniques : Pauline qui souffle dans le micro par exemple), il y a une démarche fictionnelle par la musique, la construction du personnage, le choix d'un scénario tenant en une heure et demie à partir de cent heures de rushs etc. Il y a un jeu permanent entre l'idée que nous avons affaire à un documentaire, dans les faits, et une fiction, dans la démarche formelle. Quand le père raconte à sa fille sa rencontre avec sa mère, la musique souligne la nostalgie, la beauté des images, l'aspect très vivant des anciennes photos et vidéos montrant le couple jeune. Ce passage fait penser à ces documentaires quelque peu hagiographiques des années 60 sur des personnages (les séries des Heures chaudes de Montparnasse ou Cinéastes de notre temps). Ce passage est suivi d'un retour à la réalité, au quotidien prosaïque et conflictuel du couple. Un contraste qui détruit cette image du beau documentaire, mettant en avant les bons aspects de la vie.
Le film parle aussi de notre rapport à la vidéo. Alors que Pauline est tout à fait à l'aise devant une caméra, se laissant aller à pleurer, crier, être violente, se confesser, se mettre littéralement en scène, la mère au contraire, d'une autre génération, reste pudique, trouve la caméra intrusive, avoue ne pas être elle même devant celle-ci. Quant au père, c'est un habitué de l'image de soi par la vidéo : on le voit dans les vieilles vidéos où il se donne en spectacle, dansant, faisant des imitations, se déguisant, et même cherchant volontairement à se confier à la télévision dans l'émission de Jean-Luc Delarue. C'est notre nouvelle représentation de soi, passant par la vidéo (télévision, Facebook, Snapchat, YouTube etc), dont il est aussi question dans ce film.
Mais le film a bel et bien des influences cinématographiques. En passant par le muet, lors de la scène de rupture, sans le son, accompagnée d'une musique de fosse faisant penser à un certain cinéma muet dramatique et réaliste ; à un cinéma plus récent, où c'est la construction du personnage qui fait le scénario, où l'on assiste à des moments de vie, tout simplement, mais très vivant, et cette utilisation de la musique diégétique qui devient musique de fosse (la musique du concert se prolongeant dans la scène du long baiser, qui deviendra sûrement mythique ; le père faisant du play-back sur une chanson de Christophe Willem etc). On pense alors à Kechiche, Dolan, Cassavetes, Pialat, Maïwen, Lonergan…
La place de la vidéo nous influence dans notre représentation de soi, tout comme l'influence du cinéma nous donne inconsciemment des modèles, des repères, qui agissent sur notre manière d'agir, de se construire, et sur notre notre image de soi.


« La vie imite l'art bien plus que l'art n'imite la vie » écrivait Oscar Wilde.

Nicolas_Robert_Collo
9

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le 5 janv. 2016

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Gregor  Samsa

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