J'avais dans ma critique du film La Favorite (2018) dit à propos de Yorgos LANTHIMOS, dont j'aime beaucoup l'univers, qu'il faisait partie des cinéastes misanthropes, qu'il donnait à voir des personnages et des héros ne donnant pas de l'humanité un image très reluisante. Des héros souvent désagréables, moralement discutables, mais traités avec beaucoup d'attention les rendants systématiquement empathiques, questionnant de la sorte notre propre sens des valeurs et d'ainsi nous mettre face à un miroir de l'âme humaine reflétant la part sombre qui lui est intrinsèquement liée. En écoutant un podcast dédié au cinéma dans lequel on traitait justement du cinéma de LANTHIMOS, l'un des intervenants a parlé de lui, non pas comme d'un misanthrope avec toutes les notions de jugements induites par ce qualificatif, mais d'un entomologiste, d'un cinéaste se servant de sa caméra et donc de son oeil, comme d'un microscope scrutant ses sujets et dévoilant à la lumière ce qu'on voudrait ignorer ou invisibiliser. Voilà les briques primordiales qui forment notre humanité, notre tout qu'il faut apprendre à cotoyer et accepter, pour infine prendre du recul et de la hauteur.


L'autre aspect indissociable il me semble, du cinéma de LANTHIMOS réside dans une forme de radicalité, qu'il s'agisse du thème qu'il traite ou dans la façon formelle d'illustrer son propos, c'est un cinéma délicieusement clivant, qui ne fait pas de concessions et auquel on peut rester tout à fait exterieur, voire hermétique. Un réalisateur qui suscite indéniablement le débat, parfois la controverse. Tous ces aspects me passionnent dans l'oeuvre d'un artiste, le goût pour la provocation et l'irréverensce, c'est donc avec beaucoup d'attentes que j'allais voir "PAUVRES CREATURES". En sortant de la projection, j'étais dubitatif sur ce qui venait de m'être proposé, j'étais dans un inconfort intellectuel, incapable de dire avec certitudes si j'avais aimé ou pas le film. En effet si sur bien des points, j'ai été séduit de façon claire, il en est d'autres qui me mettent mal à l'aise, d'autres qui n'ont pas fonctionnés et m'ont paru ratés. Néanmoins, après maintenant deux semaines à y penser, je ne parviens toujours pas à définir si les points sur lesquels je reste embarrassés, le sont parce qu'ils existent vraiment ou sont le fruit de mon interprétation.

Je vais donc avant d'arrêter un avis définitif, me laisser le droit futur d'y revenir, je vais attendre l'édition physique du film, que je reverrai alors en ayant laissé passé du temps dessus, peut-être le revoir en VF si des fois j'ai pu rater des éléments en VO, bref chers lecteurs et lectrices ne prenez pas cette chronique comme l'expression finale de mon ressenti, mais comme une pensée à chaud qui nécessite encore du peaufinage.


Ce qui m'a de façon certaine plu est à chercher du côté de la direction artistique, qu'il s'agisse des décors, des costumes, des maquillages, de l'usage des divers effets de caméra, de montage, je les ai trouvés tout autant fascinant esthétiquement que passionnant narrativement, même si par instants l'utilisation systématique de ce grand angle qui distors les images, m'a questionné sur sa pertinence, s'il n'aurait pas mieux valu parfois le laisser pour lui donner d'avantage de force et d'impact. Il est indéniable en revanche que le soin apporté au spectacle et à la mise en scène est plaisant à observer comme spectateur, que pour reprendre une expression qui ne veut pas dire grand chose, mais qui a l'avantage d'exprimer clairement l'idée : "on est au cinéma".


Si j'ai trouvé la prestation de Willem DAFOE extraordinaire, mais voici un acteur qui me ravi depuis si longtemps que je manque peut-être d'objectivité, je suis plus timoré concernant celle de Emma STONE, qui m'a paru délivrer quelque chose qui a plus à voir avec la performance que l'interprétation, or rien ne m'indiffère plus chez un acteur que la performance, que je trouve manquer de pensées, qui m'apparait comme une envie d'impressionner l'académie des Oscars et pas comme l'appropriation d'un personnage, de son caractère, d'y insuffler sa vista. Oui elle fait très bien la femme-bébé mais après ?


J'ai lu ou entendu à maintes reprises que le film était une nouvelle réminiscence de Candide de Voltaire, je vais faire confiance à tous, n'ayant pas lu ce livre qui si j'ai bien compris narre dans une veine philosophique l'évolution d'un personnage, de son élévation. J'y ai vu pour ma part le parcours classique du héros qui d'un point A va par le truchement d'une quête rallier le point B et qui au fur et à mesure de son voyage, de son initiation, de sa réflexion etc se verra transformé, grandi. En cela, le récit de cette Bella constitue un parfait exemple de parcours initiatique visant à sa progression, c'est même je pense le coeur du propos.


Et c'est là qu'interviennent mes réserves ou mes doutes quant à ce que je pense en définitive du film. Elles sont deux.

La première est que je trouve à l'heure où j'écris ce texte et encore une fois sous réserve de le revoir pour confirmer ou infirmer cela, que limiter les velléités d'émancipation de Bella à des expériences sexuelles enferme la notion de l'émancipation féminine dans quelque chose de très discutable, un peu comme le relent d'une psychiatrie du 19 eme siècle qui pensait l'hystérie maladie féminine liée à la sexualité forcément coupable de la femme. Qu'en est il par exemple des questions de liberté d'entreprendre, de l'indépendance financière et j'en passe ? Oui Bella, parce qu'innocente parait subversive et insolente, mais c'est traité presque comme un axe humoristique, comme le jeune enfant qui met ses parents mal à l'aise par une saillie improbable et inapropriée dans un contexte social donné. Quant à l'idée de provocation que j'évoquais au début dans le cinéma de LANTHIMOS, si effectivement son but était de susciter la controverse, là encore quelle pauvreté de réduire cela à la question du sexe, mes grands-mères étaient plus insolentes et j'ai lu des tracts féministes des années 70 bien plus provocants et donc intelligents que ça. Et ne cherchez pas ici l'expression d'une pudibonderie, je n'ai aucun souci avec les questions de la représentation de la sexualité même la plus frontale mais elle doit illustrer un propos, une idée, une envie, sinon on ne s'emmerde pas on mate un porno, et encore OVIDIE pourrait à elle seule constituer l'exemple opposé. Vais-je oser aller jusqu'à dire qu'on voit là l'exemple singulier d'un regard d'homme sur la question ?


La seconde et c'est celle sur laquelle je suis vraiment le moins persuadé de ce que je vais avancer, mais j'ai été plusieurs fois gêné durant la projection par l'idée d'un film qui sous entendait une forme de connivence avec la pédophilie, d'y voir illustrer par cette dichotomie entre le corps parfaitement adulte de Bella et son innocence psychologique, un alibi.


J'aime quand un film m'invite à réfléchir sur ce que je viens de recevoir, j'aime le débat et en cela je sais gré à LANTHIMOS de l'avoir provoqué mais là, une fois encore je me réserve le droit de revenir ultérieurement sur cette chronique une fois le film revu et décanté dans mon esprit.

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le 4 févr. 2024

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