1. Cette année-là, Matrix booste le cinéma d'action et de SF, X-Men initie la marvellisation d'Hollywood, et bon nombre des premiers fans de Star Wars font le deuil de leur univers avec La Menace Fantôme. Au milieu de ce paysage cinématographique en pleine révolution numérique sortait sans fanfares ni grand succès le Payback de Brian Helgeland. Connu pour son travail de scénariste sur des oeuvres telles L.A. Confidential, Complots et The Postman, Helgeland réalisait ici son premier long-métrage et offrait à Mel Gibson l'opportunité d'éborgner malicieusement son image de héros charmeur à la morale imperturbable. Remake débridé du Point de non-retour de John Boorman et libre adaptation du roman Comme une fleur de Donald E. Westlake, Payback se pose comme une authentique péloche néo-noire s'intéressant à la "résurrection" d'un petit truand abattu et laissé pour mort dans un parking sous-terrain par ses deux complices, après un braquage réussi. Sauvé par les bons soins d'un chirurgien douteux, Porter se remet très vite sur pieds, se refait quelques économies en volant du fric ici-et-là et se met ensuite en tête de retrouver ceux qui l'ont doublé, à savoir une petite brute à la grande gueule nommée Val et l'épouse trompée de Porter, Lynn, grande consommatrice de poudre en intra-veineuse. Déterminé à récupérer sa part du butin, soit la somme assez chiche de 70 000 dollars, Porter va se frotter à toute une galerie de personnages hauts en couleurs, gangsters, flics corrompus, tueurs à gages et dominatrices masochistes. Le tout en retrouvant la trace de son grand amour, Rosie, une call-girl de luxe dont il fut autrefois le chauffeur.


A priori, Payback se présente comme une oeuvre de transition pour sa star Mel Gibson, lequel tournait ici le dos aux glorieuses 90's (il venait de triompher à nouveau avec L'Arme fatale 4) pour plonger dans les années 2000 et une succession de films aux succès plus aléatoires (Million Dollar Hotel, Signes, Ce que veulent les femmes). Conscient de la mutation du cinéma-spectacle de l'époque, Gibson en profitait pour changer un peu son image et s'ouvrir à des rôles plus variés et discutables tout en s'intéressant visiblement plus à ses ambitions de formaliste et de producteur, jaugeant en ce temps de très près la carrière d'un Eastwood réalisateur. Dans ce contexte, Payback semble intervenir comme un film anecdotique et sans grande importance dans la filmo de sa star. Et pourtant, ce petit polar a beau rester modeste, il n'en reste pas moins une authentique réussite, suffisamment surprenante et originale pour côtoyer la foule de gangsters-flicks tragi-comiques héritées des premières expérimentations tarantiniennes (Snatch, Hors d'atteinte, Get Shorty). Véritable petit ride criminel, s'apparentant de très près à un décalque cinématographique de GTA, Payback s'appuie avant tout sur un scénario inventif sans être trop ambitieux, portraiturant une sacrée galerie de salopards d'où se distingue le charisme tranquille d'un anti-héros aussi brutal que déterminé, lancé dans la quête absurde d'un magot ridicule dont bon nombre de personnages feront les frais. En découle un jeu de massacre totalement jubilatoire, dont on retiendra la bêtise crasse de gangsters aussi cons que leurs pieds et une succession de trépas réjouissants (la mort de William Devane reste incontestablement la plus drôle du cinéma avec celle de Bill Murray dans Zombieland). Sans oublier la réjouissante séance de torgnolles administrée par une Lucy Liu pas encore très célèbre, mais déjà bien consciente de sa présence ravageuse.


Helgeland n'a évidemment pas l'ambition de rivaliser avec ses influences, son film souffre de quelques poncifs, d'incohérences trop évidentes (voir comment Porter traverse le film sans être inquiété) et d'un dernier acte précipité, que l'on ne s'explique que par le remontage imposé au réalisateur pour sa sortie en salles (il existe aujourd'hui, un director's cut Straight Up, autrement plus violent que cette version cinéma). Mais malgré ces quelques scories, cette version cinéma bénéficie toujours d'un étonnant décalage entre sa cruauté atypique (le passage à tabac de Rosie), sa photographie froide (vive le filtre bleu) et un comique de situation suffisamment décalé pour dérider même le plus frigide des haters (voir comment Porter transforme deux porte-flingues en porte-valises).
En ce sens, Payback fait clairement partie de cette poignée de films qui réussissent à alterner les tons avec brio et à se jouer de tous les clichés du genre. Ajoutons à ça des dialogues absurdes balancés par une ribambelle de seconds couteaux (on retrouve ici quelques pointures tels Gregg Henry, Kris Kristofferson, Maria Bello, William Devane, John Glover, le marmoréen Bill Duke et l'inoubliable James Coburn) et il n'y aura décidément plus aucune raison de bouder son plaisir à (re)découvrir ce petit polar néo-noir, délicieuse anomalie d'un cinéma hollywoodien en fin de millénaire.

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le 23 juin 2020

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Buddy_Noone

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