A première vue, Julian (José Luis López Vásquez) n’a rien du don Juan, vieux garçon la cinquantaine, le front dégarni et des gestes routiniers dans son métier. Radiologue, il se protège consciencieusement. Mais, est-on réellement protégé contre l’imprévu ? D’ailleurs, sous ses airs anodins, Julian est un libidineux qui réagit à toutes les manifestations de la féminité, comme s’il était frustré et capable de profiter de son statut social pour séduire.


Pourquoi pas son infirmière (qui lui sert d’assistante) dans son travail ? Ana est une jeune brune timide qui semble mener une vie étriquée, en habitant chez sa sœur. Dès que Julian lui fait comprendre qu’elle peut profiter de ce qu’il possède, elle réagit plutôt bien.


Pourquoi pas également Elena, jolie blonde bien plus jeune que lui ? Elena est la compagne de son ami Pablo (Alfredo Mayo). Celui-ci revient d’Afrique où il fait des affaires. Pablo et Julian ne se sont pas vus depuis longtemps et c’est une surprise de le trouver accompagné. Voilà de quoi conforter Julian dans l’idée que même les femmes nettement plus jeunes que lui sont accessibles.


Julian réagit également parce qu’il est sûr d’avoir déjà vu Elena. Un souvenir marquant et très clair dans son esprit (même s’il nous est présenté en noir et blanc, alors que le film est en couleurs), la jeune femme jouait du tambour à la semaine sainte à Calanda, village typique dans une vallée escarpée (très beau paysage, habitat digne d’un intérêt touristique).


Le fait que cette « rencontre » se soit produite lors d’une cérémonie à caractère religieux n’est certainement pas un hasard. Bien que marqué par la religion, Julian semble en faire peu de cas. Pour lui, les interdits n’existent pas vraiment. Convoiter la compagne de son ami ne le gêne pas. Il l’observe se trémousser sous ses yeux, il la photographie sous tous les angles et se délecte de tout ce qui sert au maquillage. D’ailleurs, le maquillage est un artifice, ce que le réalisateur se plait à souligner. En effet, le film est truffé de symboles. Ainsi, la couleur rouge (le sang, la passion) est très présente sous la forme d’objets les plus divers (carreaux de porcelaine, sac à main, voiture, rideau, rouge à lèvres, etc.) et sous de nombreuses nuances. Il est également difficile de passer à côté de symboles phalliques, comme le bâton que ces messieurs utilisent pour viser un orifice dans un ingénieux dispositif ludique. Ce simulacre de l’acte sexuel apparait donc comme un jeu. Mais qui joue avec qui et quelles sont les règles de ce jeu ?


Il y a souvent de quoi rester perplexe à la vision de ce film. Puisqu’il est question de couleur, le blanc symbole de pureté est celui des vêtements d’Elena (si c'est bien elle) dans le souvenir de Julian (mais la pureté d’Elena est très largement sujette à caution). Le vert est également à citer puisque c’est la couleur de l’apéritif préféré de Julian, le Peppermint frappé du titre. Puisque le vert est la couleur de l’espoir, qu’en penser ? L’espoir de Julian semble être de séduire, si possible une femme plus jeune que lui. On note bien-sûr que Géraldine Chaplin tient le triple rôle d’Ana, d’Elena et de l’inconnue de Calanda (la mystérieuse). En jouant la brune et la blonde, elle joue deux aspects de la femme, la timide et la délurée, la naïve et la calculatrice. En s’intéressant aux deux, c’est à dire en courant deux lièvres à la fois, Julian risque bien évidemment de les voir toutes deux lui filer entre les doigts.


Le film surprend jusqu’à la fin. Julian réalise qu’il a été joué, dupé. Enfin, c’est ainsi qu’il le prend, parce qu’Elena n’a pas tenu sa langue, faisant des confidences à Pablo pour bien faire sentir à Julian que, si elle veut bien danser avec lui, poser pour des photos ou bien l’écouter, son homme est bien Pablo. Pourtant, les circonstances vont encore valoir un tel retournement de situation qu’on peut se demander s’il faut tirer une morale du film. La morale serait plutôt qu’il n’y a pas de morale.


Pendant quelques séquences, on peut se demander si Saura ne lorgne pas du côté de Vertigo avec la troublante ressemblance entre la brune Ana et la blonde Elena. Le triangle amoureux est montré avec une certaine ironie, puisqu’il est question ici davantage de désir que de sentiments. L’essentiel est à chercher du côté des apparences nous dit Saura. Pourtant, les apparences il faut s’en méfier. Ainsi, Julian trouve des signes indiquant qu’Elena est bien celle dont il se souvient à Calanda. Mais tout cela ne mènera à rien. Et si ses souvenirs remontent jusqu’à l’enfance, on remarque que l’innocence enfantine est toute relative.


Carlos Saura se joue donc du spectateur qui a l’impression pendant 1h30 d’assister à un film de Luis Buñuel. La dédicace au réalisateur de Cet obscur objet du désir vient avec le générique de fin. Le film date de 1967, période où un certain libéralisme venait contredire les valeurs du régime franquiste. On peut penser que Julian et Pablo sont deux représentants de la bourgeoisie (que Buñuel prenait régulièrement pour cible), une classe complètement désorientée.

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le 7 mars 2015

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