Perfect Days
7.4
Perfect Days

Film de Wim Wenders (2023)

Maintenant, c’est maintenant. Et trop, c’est trop…

Disons les choses.

Sans sa moyenne élogieuse sur ce site, je pense que je ne serais pas allé voir Perfect Days.

Trop d’éclaireurs unanimes. Il fallait que je voie ça.

Et maintenant que je l’ai vu, ce Perfect Days, j’avoue que j’aurais presque envie de réclamer des comptes.


Alors malgré tout – attention – qu’on mette tout de suite les choses au clair.

Loin de moi l’envie de remettre en question le plaisir qu’ont pris les uns et les autres face à ce film, surtout que – pour le moment – je n’ai encore rien lu le concernant.

Seulement voilà, face au consensus produit par la seule notation de mes éclaireurs, j’avoue rester perplexe, au point de me demander si on a bien vu le même Perfect Days, ou du moins si on l’a vu avec le même œil critique.


Parce que d’accord – et je l’entends parfaitement – il émane de ce film quelque chose de particulier. Une singularité de cinéma. Une identité clairement marquée.

Je reconnais qu’en nous amenant à suivre ce personnage mutique de Hirayama dans son quotidien – et notamment dans tout ce qu’il a de plus commun et de routinier – on installe à la longue un cadre, un espace, une atmosphère.

Il finit par infuser de tout ça une certaine intimité avec le sujet dont il peut découler un attachement, une sympathie, voire même un sentiment de reconnaissance à l’égard de l’auteur – en l’occurrence ici, Wim Wenders – pour avoir su nous partager cette tranche de vie-là.

Moi-même je n’y ai pas été insensible. On sent le regard de l’Ancien sur le monde. L’esprit de contemplation. De préservation. De jouissance de l’instant, quel qu’il soit, qu’il s’agisse d’un verre qu’on nous sert dans le même bouiboui quotidien que de la brique de lait qu’on sirote face à un arbre centenaire. Tout moment de grâce est précieux, et il convient d’en profiter pour ce qu’il est, tant qu’il est là.

« La prochaine fois, c’est la prochaine fois. Maintenant c’est maintenant » clame à un moment Hirayama à sa nièce. Une phrase qui a bien évidemment du sens au regard de ce que tout ce film entend montrer.

Donc oui, sur ce plan-là, le message est reçu cinq sur cinq, d’autant plus que la forme sobre de l’ensemble s’y prête tout particulièrement.


Seulement voilà, moi je veux bien entendre qu’il y ait de ça dans Perfect Days, mais il y a aussi tout le reste. Et par tout le reste j’entends cette propension au gros trait, à la caricature, voire même carrément à la démonstration lourdingue.

D’un côté on a Hirayama qui est le vieux sage consciencieux qui a le souci du geste parfait, quand bien même est-il agent d’entretien de toilettes publiques, et de l’autre on a le jeune collègue teubé qui arrive en retard et récure ses toilettes les yeux fixés sur son téléphone ; on a l’usager qui dégueulasse tout sans respect, la mère indigne qui oublie son enfant et désinfecte la main de son gosse parce que « oh mon dieu » il a touché un pauvre…

…Tout ça est tellement surligné et insistant que, moi, ça m’a clairement empêché de me mettre dedans. Surtout que le film boucle encore et toujours sur le même quotidien, et cela pendant plus de deux heures, tout de même.


Or, comment le film cherche-t-il à entretenir une dynamique de récit malgré ces deux longues heures de redondance ? Eh bien il agrémente sa boucle de variations.

Un jour le collègue lourdingue ramène sa copine ce qui perturbe la journée de travail. Un autre c’est sa nièce qui vient squatter chez lui. Ou bien c’est tout simplement un petit objet trouvé dans un recoin de toilettes qui devient l’opportunité d’un échange tout aussi singulier qu’énigmatique.

Alors certes, tout cela – encore une fois – n’est pas dénué d’intérêt, surtout quand on comprend que tout l’enjeu du film se trouve dans cette recherche des « jours parfaits » ; de ces jours où tout est accompli selon une mécanique harmonieuse, où travail, détente, loisir et préservation ont chacun leur temps bien défini ; des temps dont il convient de profiter à chaque fois comme des moments parfaits. La fameuse perfection du « maintenant »…

Malgré tout, le gros souci que j’ai avec cette structuration du récit, c’est que chacun de ces cycles n’est en fait qu’un prétexte pour peaufiner davantage ce portrait qui est fait de Hirayama et de son entourage. Or le problème que j’ai avec ce portrait, c’est que plus il se complète, et moins j’y crois.


Parce que bon, de ça aussi il semble difficile de faire abstraction : parlons un peu de cet Hirayama qui sonne un peu faux ; voire même de tout ce Japon qui fait lui aussi un peu toc.

Le problème ne vient pas de la filmographie en soi, car pour le coup je trouve que la caméra de Wim Wenders parvient ici à rendre justice aux espaces et aux instants. Par contre, j’ai définitivement un problème avec ce qui est montré des gens.

Hirayama, par exemple, est à lui seul le condensé de tous ces problèmes. D’un côté il ne vibre que pour la vieille musique occidentale et passe ses soirées à lire du William Fletcher, et de l’autre il se détend tous les jours au bain, prend soin des jeunes pousses qu’il a récupéré au temple, et ne manque jamais l’occasion de boire son verre au bouiboui typique du coin.

Dit autrement, le personnage d’Hirayama est une sorte de mélange entre un Wim Wenders qui s’est transposé dans son héros mais sans parvenir à se japoniser pour autant, et de l’autre on a tout ce lot d’images d’Epinal qui ne semblent être là que pour faire contrepoids, mais sans – me concernant - jamais vraiment y parvenir.


Tout ça pue régulièrement un Japon de carte postale dans lequel les aspérités occidentales de Wim Wenders ne parviennent pas à se dissoudre. Et si l’illusion peut encore tenir quand le film se contente de silences et autres interjections laconiques, tout s’écroule sitôt les personnages se mettent à entretenir des échanges nourris. Là, l’illusion tombe. C’est très démonstratif. Trop expansif. Ça ne colle pas à tout ce qu’on nous a montré des personnages jusqu’à présent.

A tort ou à raison, j’ai toujours eu le sentiment d’assister à des dialogues d’Occidentaux traduits ensuite en Japonais, mais sans jamais vraiment parvenir à devenir des dialogues pleinement japonais.

Tout ce film m’a dès lors donné l’impression d’un Japon de surface ; d’une difficulté dont Wenders semble presque encombré, comme quand il cherche à créer un moment de communion autour d’une vieille chanson bien typique qui fait vibrer tous les cœurs, et qu’au final cette chanson se révèle être une adaptation japonaise de The House of the Rising Sun.

Tout un symbole.


Tout ça, au bout du compte, m’a carrément amené à me poser cette question : mais pourquoi être allé tourner au Japon dans ce cas ?

Si Wenders voulait parler de lui, de sa musique, de ses lectures, de sa nostalgie, alors pourquoi chercher à s’en éloigner le plus possible culturellement en expatriant son intrigue jusqu’au Japon ? Pourquoi ne pas l’avoir ancrée dans son Allemagne natale ou bien dans un autre pays occidental aux mœurs assez proches ?

Pourquoi le Japon si c’est pour être aussi mal à l’aise avec ses codes et sa culture, au point parfois de la singer avec une réelle maladresse ?

Alors certes, ce n’est pas la première fois que Wenders témoigne de son attraction pour les cultures étrangères, et il va de soi qu’avec ce Perfect Days on est un peu là-dedans. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’y voir aussi là-dedans une certaine stratégie. Car parés d’exotisme, il semblerait que les démonstrations à gros traits passent plus facilement auprès des spectateurs européens, et au vu de la réaction unanime de mes éclaireurs face à ce film, je me dis que cette hypothèse ne doit pas être totalement infondée.


Mais bon, malgré tout ce que j’ai pu exprimer à l’encontre de ce film, ça ne fera pas pour autant revenir sur ce que j’ai pu dire au sujet de ceux qui l’aiment. S’ils s’y retrouvent, tant mieux pour eux. Vraiment.

Par contre, je persiste à croire que l’amour n’empêche pas le discernement, et j’espère qu’au moins, par ma contribution, je saurais apporter une saine contradiction dans les fils des membres dont je suis éclaireur.

Ceci étant dit, je vous laisse car, comme vous devez vous en douter, j’ai désormais quelques billets à lire. Ma curiosité est clairement affutée. Et mes arguments aussi. ;-)

Créée

le 3 janv. 2024

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