Il s'agit ici d'un travail d'université, rendu le 29 Avril 2020 durant le confinement, sous l'égide de Mr David, professeur de cinéma à Lyon 2. Le dossier consiste en une analyse du film Persona d'Ingmar Bergman, réalisateur qui à occupé mon deuxième semestre de L1 pour ce travail. Il s'agit de la version final que je retravaille un poil pour la publier sur SensCritique. Bien qu'assez raté sur certains points, je souhaitais partager mes travaux de FAC ainsi que ceux qui arriveront bientôt. Bonne Lecture.
Longtemps, le cinéma a été sujet à créer la fiction, révéler une vérité sur le monde par le documentaire ou encore expérimenter diverses techniques pour mieux se comprendre et s’aborder. Mais rare sont les films qui cherche à révéler l’envers du décors. Le film est toujours pensé en fonction de son hors champ, même inconsciemment au début du cinéma, notamment avec les vues Lumières ; mais montrer le hors-champ technique fût toujours vu comme quelque chose d’impensable. Il ne s’agit pas de mettre le spectateur en rapport avec l’univers dans lequel le film tend à l’amener, comme en brisant le quatrième mur par un regard caméra dans Monika , ou une parole adressé au spectateur, comme dans Sonate d’Automne . Ici, on pense plus à la révélation même de ce qui constitue le film, comme un « making of » interne. On peut tout d’abord penser aux travaux réflexif du critique et réalisateur Jean-Luc Godard et son groupe Tziga Vertov , à la fin du film La Montagne Sacrée , ou tout simplement au film qui nous intéresse dans ce dossier, Persona d’Ingmar Bergman, sortie en 1966.
Plusieurs choses sont à interroger sur ce film, abordant divers propos, vis-à-vis de son actualité, de son rapport à l’image, au théâtre, au cinéma et de bien d’autre sujet. Combinant comme beaucoup d’élève ma passion principale à l’expérience d’analyse qu’est ce dossier, je vais m’intéresser à cette notion de cinéma dans le cinéma. Et une chose est sûre, Persona entre dans cette veine de film expérimentant sur son propre médium artistique. Le film est tant remplie d’expérimentation que l’on en vient à se demander si Bergman n’en détruit point la narration de son film, et par la même occasion, s’il n’en perd pas son spectateur. On se demande pourquoi Bergman nous sort ainsi de la diégèse de son film en nous révélant sa conception technique ? Quelle en est l’apport dans son film ? Qu’est-ce que certaines images veulent-elles nous dire dans le film et dans sa continuité extérieur ? Comme si Ingmar Bergman théorisé par le biais de son film une part importante de ce qu’est le cinéma.
S’il s’agira d’abord d’analyser la séquence qui m’a poussé à toute ces interrogations, il s’agira par la suite de comprendre le rapport de Bergman au cinéma, que ce soit dans sa filmographie, dans sa vie personnelle et dans Persona afin de mieux comprendre ce qu’il fait dans son film, et enfin de regrouper ce que Bergman montre du cinéma dans ce film, et ce que le cinéma en fait dans sa théorie.
La séquence qui est revenu le plus de fois à mon esprit après mon premier visionnage de Persona se trouve dans son final. C’est avec ces quelques derniers plans, que mon questionnement du rapport du film avec sa méthode créatrice m’est venu à l’esprit. Je vais donc tenter de dresser une description complète de cette séquence final, en notant le plus de détails intéressants possible pour ce dossier. Se passant durant les trois dernières minutes du film, la séquence paraît courte, mais comme son introduction, Bergman nous fournit une suite d’image assez ésotérique. Moins fourni que les séquences de début, on s’attarde ici sur un ensemble d’image plus longue et symbolique. Ainsi, cette fin, d’après mon découpage, commence par un plan général orienté vers la villa dans laquelle les deux femmes ont vécu durant le film. On y suit principalement le départ d’Alma. [...] Elle ferme la porte à clé. Le plan suivant nous transporte par un montage alterné vers un moment passé de l’histoire du film. On retrouve Elisabeth en gros plan se retournant vers la caméra, paniqué. Son maquillage nous rappelle son instant de panique sur scène, lorsqu’elle interprète Electre , une pièce grec que l’on peut rapprocher de la statue vue sur le plan précédent, comme si Elisabeth était encore présente pour Alma, la statue faisant la connexion entre les deux plans. Derrière l’actrice, de nombreux projecteur dans une disposition quasi fantomatique. On suppose que l’on se retrouve à l’instant où l’actrice décide d’arrêter de parler. Son regard face caméra peut autant se comprendre comme une interpellation envers l’infermière ou envers le spectateur. Le plan suivant est un plan large d’Alma sur la berge qu’on suit avec un travelling latéral. Elle se rapproche de la caméra et à ce moment, un bruit nouveau se fait entendre, appelant le plan suivant à venir. Il s’agit du fameux plan du studio de cinéma, ce même plan qui continue encore aujourd’hui à m’intriguer. Le bruit qui permet la transition entre les deux plans est celui d’un avertisseur signalant qu’un plan est en court de tournage. En contre-plongée, notre point de vue montre une passerelle mobile sur lequel deux hommes, le chef opérateur et le cadreur, opèrent un mouvement de travelling descendant, filmant en plongée, en direction d’une image qui nous est reflété par le biais d’un miroir disposé sur l’objectif même de la caméra, nous dévoilant le visage d’Elisabeth allongé sur un divan. La perche de la caméra accompagne le mouvement des opérateurs. Ce plan sera l’objet de nombreux questionnement tout au long de ce dossier. Passant rapidement à l’image, le plan trouve comme seul point de raccord cet autre plan d’Elisabeth lors de son interprétation d’Electre. Mme Volger est comme imaginé par Alma, le montage nous révélant ses pensées sur l’actrice de théâtre. On pourrait alors comprendre le plan comme une pensée brève sur l’actrice durant un tournage. Pourtant, il n’est question entre les deux femmes de cinéma, Elisabeth faisant du théâtre. De plus, le bruit en continue qui donne la transition semble lier les plans d’une manière plus singulière. Il est en tout cas sûr que Mme Volger est montrée, lors de cette séquence, en tant qu’actrice. Mais continuons notre énumération, nous reviendrons en temps voulu sur cette image. Sur le plan suivant, un plan général nous dévoile Alma se dirigeant vers un bus. Ce dernier s’arrête et elle monte dedans, passant devant ce dernier. Un panoramique nous permet de suivre un instant le bus avant que la caméra n’effectue un panoramique de haut en bas, vers le sol, finissant en une plongée sur les graviers. On entend en off un bruit de verre brisé. Par un fondu enchaîné, on se retrouve dans la chambre de la scène d’introduction avec l’enfant, de dos, face au portrait d’Elisabeth en gros plan, projeté sur le mur face à nous. L’enfant caresse l’image qui devient de plus en plus flou au fur et à mesure, écrasant toute perspective. Les derniers plans sont ensuite un enchaînement successive présentant l’arrêt désastreuse du système de projection. Un gros plan nous révèle la sortie de la pellicule de la roue permettant de la faire tourner. Une image abstraite, par jeux d’ombres, filme la roue tournant dans le vide. Le plan d’une mèche incandescente, avec un fond sonore brouillant, qui finit par s’arrêter, nous présentant deux bout de fer servant à créer la lumière du projecteur. Lorsque les deux se séparent, la lumière disparaît. Ecran noir. Et comme le scénario le signal, le mot FIN n’apparaît même pas.
[...] Si on résume le film, Persona nous raconte l’histoire d’Elisabeth, une actrice de théâtre qui décide, au beau milieu d’une représentation d’Electre, d’arrêter de parler. Alma, infermière, sera chargé de l’accompagner durant un séjour de repos, afin de la surveiller et d’aider l’actrice. Le film tourne en grande partie autour de la question des relations humaines, féminine dans ce cas, et de la notion de mensonge, de non-dit entre les deux femmes, créant une certaine animosité entre elles au fil du film. Alors que Bergman a déjà initié son spectateur a une réflexion du film sur son médium de création, sur sa projection, il réutilise d’autres idées durant le film en s’amusant notamment à distordre l’image. Comme on le reverra plus tard dans le film Fight Club , le saut simulé de la pellicule implique une distorsion de l’image, relevant dans les deux films d’une certaine tension présente entre les personnages que même l’appareil de projection n’arrive à supporter . Il faut donc comprendre que le plan de l’équipe technique est difficilement abordable comme étant une vision simple de Mme Volger sur un tournage, le film opérant déjà plusieurs aberration au cours de son histoire. Le procédé implique une sortie de la diégèse, le spectateur pouvant se retrouver sortie du film, entrant alors dans sa conception technique. Pourtant, l’idée est plus de provoquer un effet de démesure sur le spectateur. Une crise relationnelle qui dépasse le cadre du film. Je pense surtout au face à face entre les deux personnages après l’envoi de la lettre au milieu du film. Alors que les deux se fixent, le plan sur Alma se met à trembler, et l’image se fracture peu à peu jusqu’à bruler. Durant cet instant, Alma semble fixer le spectateur. Le son est inversé, et le montage nous redistribue diverses images déjà observé durant son introduction. On reprend sur un plan flou dont la musique va venir rétablir brutalement la netteté sur le personnage de Mme Volger. Si on comprend donc ces sauts d’images fissuré, ses flous, comme étant en rapport direct avec la tension naissante entre les deux femmes, arrivant peu de temps avant les premiers sauts de pellicule, on en arrive à comprendre que la séquence final n’est que l’apogée de cette tension, décrite par la cassure même de la pellicule. Et si le cinéma en tant que procédé fait partie intégrante de l’histoire du film, par ces plans du studio, cette fin n’est pas une fin en soi pour la crise relationnelle entre les deux personnages. Elle n’est que la brisure final de la pellicule, ne pouvant s’aventurer plus loin dans l’histoire. On comprend par le départ d’Alma, lorsqu’elle se regarde dans le miroir et qu’elle y aperçoit le visage d’Elisabeth proche du sien, comme le suggère aussi le plan scindant les deux actrices, les rassemblant en un personnage présentant les faces désavantageuses de chacune, que les deux femmes sont marquées l’une par l’autre à jamais. Même la proue grec situé à l’extérieur amène le montage à rappeler la présence de l’actrice à Alma. Donc d’une part, le film se casse, et n’arrive même pas à projeter une fin, mais il nous prouve surtout que l’histoire n’est pas finie pour ses personnages, que leur vie continue malgré tout, qu’on en garde un souvenir à l’esprit, que ce soit par l’aspect expérimental du film ou la marque qu’auront eu certains dialogue sur le spectateur.
Le film semble donner lieu à de nombreuses expérimentations. Bergman parle même d’improvisation continue . Et par cet ensemble de plans mémorables que j’ai pu citer plus haut, on en revient à se demander s’il n’est pas dangereux pour Bergman de faire sortir son spectateur de l’histoire qu’il nous conte, au risque de nous perdre. Pourtant, l’élément visuel du saut de pellicule nous est compréhensible comme un élément appuyant sur la tension entre les deux femmes, bien que cet élément soit extradiégétique. Il ne nuit pas à sa narration, mais appuie à sa crédibilité. En expérimentant cette idée, Bergman nous prouve que le cinéma peut être utilisé pleinement comme un moyen pour parvenir à montrer une idée pourtant immatériel, comme l’idée de tension, voir à la renforcer, en impliquant le format même du cinéma de l’époque, filmé avec de la pellicule. Le cadre et le montage sont compris comme des matériaux artistiques. Pourtant, cela n’explique toujours pas le plan du studio, et cette impression d’être arrivé dans un making of du film, laissant toujours cette idée d’une sortie de la diégèse même du film. Puis cette ensemble de scène que nous montre l’introduction, que ce soit le dessin animé avec le squelette ou les clous planté dans la main d’un personnage qu’on pourrait deviner être le Christ. Bergman nous laisse encore beaucoup d’incompris concernant ses expérimentations improvisé.
Pour mieux comprendre les idées du réalisateur suédois, il s’agirait de revenir au début de la conception du film. Quelques années après la réalisation du film Le Silence et de l’échec que sera Toutes ses femmes, Bergman revient dans le milieu du théâtre. Mais suite d’une double pneumonie et d’une intoxication à la pénicilline, le metteur en scène est hospitalisé. Alors qu’il avait eu pour commande un film à gros budget répondant au nom Les Cannibales, Bergman préfère se raccrocher à un scénario beaucoup plus simple, avec peu d’acteur, au vue de sa santé. Durant l’année suivante, le réalisateur suédois débute l’ébauche du futur Persona, le rédigeant des suites de sa pneumonie mal soignée, s’inspirant alors des deux actrices Bibi Andersson et Liv Ullmann. Par besoin de dissiper un sentiment de néant vis-à-vis de son activité de directeur de théâtre, il se lance dans ce projet de nouveau film. Revenant sur son enfance dans l’ouvrage Images qu’il écrivit lui-même, le réalisateur nous conte ses envies de partager des histoires au monde qui l’entourent. Il comprit rapidement que le meilleur moyen de partager ses rêves serait de passer par le cinéma. Pour créer Persona, il se coupe du monde extérieur, essayant d’atteindre une forme de clarté. Le film grandit dans une situation de crise pour son créateur. L’introduction de Persona débute par ailleurs à l’hôpital, reprenant ainsi l’expérience personnel d’Ingmar Bergman. Une idée intéressante ressurgit à Bergman durant l’écriture de ce texte autobiographique : Il repense à son enfance durant laquelle il achetait des rouleaux de pellicules afin d’en effacer l’image et d’en recréer une nouvelle. Il se voit presque comme précurseur au dessin animé dans son innocence enfantine. Montrer la pellicule, c’est montrer la création. Il se sent sur le point d’arriver à quelque chose d’unique, une nouveauté qui lui serait propre. Une découverte importante s’ouvrit à lui lorsqu’il comprit que tout n’était finalement que mensonge dans la parole. C’est l’un des thèmes principaux du film, Bergman défendant l’idée d’une nécessaire communication être les individus, et l’une des raisons pour laquelle Elisabeth devient muette. Et finalement, l’image peut apparaître comme une vérité dans le film de Bergman, allant jusqu’à révéler au spectateur que tout n’est que la projection d’un film. Si le réalisateur affirme que ce film lui a sauvé la vie, c’est qu’il lui à permit de se révéler à lui-même en comprenant le monde qui l’entourent d’une manière singulière. L’image peut montrer la dualité naissante entre des individus de bien des manières, et Bergman en expérimenta d’une manière bien singulière.
L’expérimentation propre chez Bergman, c’est de vivre dans l’image afin de la rattacher aux affects. Dans le livre de Jacques Aumont , le film Persona est décrit comme la représentation fantasmagorique d’une projection de cinéma, du point de vue même du projecteur, comme nous le signifie l’introduction. Nous sommes dans une vieille machine, avec un arc à charbon qui s’amorce pour illuminer la pellicule. La lumière projette alors tout type d’images. Jacques Aumont reprend ensuite le motif de la pellicule se brisant fictivement sous la tension devenu insupportable entre les deux femmes, se défaisant même en nous montrant les coulisses. Si on suit cette idée, le fameux plan qui m’a tant perturbé ne serai qu’une suite logique à cette fissuration de la pellicule. Pourtant, il me paraît plus logique de seulement montrer la pellicule se décrocher de l’appareil de projection que de montrer la caméra en elle-même ainsi que l’équipe de tournage. Où se situe notre point de vue dans cette image ? Car ce que l’on nous montre n’est autre qu’un hors champ de la caméra, celui du tournage, que l’on tend habituellement à effacer le plus possible, évitant tout défaut dans l’image, que ce soit une perche dans le plan ou le reflet de l’équipe technique dans une paire de lunette. Ici, Bergman fait évidemment attention à tous ces détails, mais révèle ce hors champs d’une manière bien plus singulière. Si ce plan me bloque toujours autant, c’est qu’il me manque un élément de la théorie de Bergman pour réellement pouvoir l’aborder, un élément que je vais me tacher de découvrir, ou du moins de théoriser. Il s’agit, dans le film de Bergman, de parler de faux-semblant, de mensonge, et de faire face aux évènements en comprenant qu’on ne peut les changer. Si Bergman tant à nous montrer que nous sommes dans un film, c’est pour nous montrer la vérité, celle que Elisabeth Volger recherche par son mutisme volontaire. On n’en reste pas moins bloqué par cette question d’une sortie de diégèse, se pouvant être néfaste pour le film. Après tout, le réalisateur, par sa renommée de l’époque, à très bien pu penser ce film pour lui et lui seul, ne pensant pas à l’impact qu’on eut certains plans à la sortie du film. Mais en 1965, période où des réalisateurs comme Jean-Luc Godard expérimentait les mêmes idées avec son groupe Tziga Vertov, on peut penser que ce film est donné à un public averti, habitué de ces découvertes cinématographiques quotidiennes à travers chaque nouveaux film. Reste l’idée que Bergman cherche bien à nous expliquer quelque chose par ce plan qui m’échappe encore.
La diégèse est un univers cohérent, un espace-temps dans lequel se déroule l’histoire proposée par la fiction d’un récit. Il s’agit à partir de là de bien comprendre que Bergman semble trahir en partie l’univers, l’histoire de son film qui, au première abord, ne raconte que la relation entre deux femmes, non pas la projection d’un film fantasmé par un projecteur. J’ai déjà évoqué plus tôt les expérimentation du groupe Tziga Vertov, notamment dirigé par Jean-Luc Godard, critique et réalisateur français de renom. On observe dans ses films une dimension très politisée de la révélation du hors-champ technique. Godard en a longtemps parlé comme une idée de révéler la labeur social qu’est la création d’un film. C’est un combat contre le film capitaliste qu’opère le réalisateur, ce dernier n’essayant pas d’effacer le travail derrière ses film, mais mettant les ouvriers de ce dernier au premier plan. Il n’est même plus le réalisateur de ses films, étant crédité au nom du groupe Tziga Vertov. Pourtant, rien ne semble indiquer qu’il en soit de même chez le réalisateur Suédois, ce dernier cherchant plus une relation entre l’image cinématographique et les sentiments de ses personnages.
L’idée de Bergman se rapprocherai plus de la vision de Alejandro Jodorowski, celle de montrer la vérité. En effet, à la fin du film La Montagne Sacrée, film totalement déjanté semblant tout droit sortie d’un trip hallucinatoire sur le retour du Christ, un groupe de personnage décide de s’ouvrir au monde et à la réalité, de contempler la vérité. La caméra exécute alors un dé-zoom à partir du groupe en cercle et révèle une équipe de tournage positionnée de part et d’autre du groupe, filmant ainsi le film durant son tournage et révélant tout comme Bergman l’a fait plus tôt, que nous sommes dans un film. Il m’a semblé intéressant de comparer ses deux films qui, dans leur vision, ce rapproche d’une idée assez similaire sur le cinéma. Bien que ce film aborde énormément de thèmes, la fin reste assez similaire à celle de Persona. Elle aura eu en tout cas le même impact sur moi que la fin du film de Bergman et son fameux plan de l’équipe technique. La fin de La Montagne Sacrée représente une purification et une libération de ses personnages vers une pureté originelle menant vers la vérité. La vérité étant celle du film dans lequel se passe l’histoire. Et le but de Bergman étant aussi de rechercher cette vérité hors des mots et seulement par le biais des images, il paraît tout à fait logique de nous montrer l’envers du décor, même si cette idée est bien moins explicite chez Bergman. Le plus logique semble de comprendre la volonté d’Elisabeth Volger par son mutisme, faisant face aux évènements de l’histoire avec effroi, cherchant la vérité sans parole, mais menant pourtant une contradiction des plus dangereuse avec sa philosophie lorsqu’elle cache cette lettre à l’origine du déclin social entre les deux femmes. Elle ne ment pas à Alma, mais en rapportant les paroles de l’infermière bavarde et en s’en moquant par le biais de la lettre, c’est comme si elle mentait sur leur amitié. Pourtant, y’a-t-il réellement amitié entre les deux personnages, quand l’un des deux ne peut vraiment acquiescer par la parole, quand le dialogue devient monologue ? La seul chose finalement qui peut nous révéler la vérité de cette relation, ce sont les images, les réactions de chacune, et pourquoi pas par la fragilité de la pellicule ? Les paroles finalement ne révèle qu’un instant, mais pas un tout. En nous montrant que nous sommes dans un film, Bergman nous révèle la réalité en une seul et unique image. La pellicule vient littéralement brisé ce tissu de mensonge. Sa rupture n’est alors plus liée à la tension naissante entre les deux personnages, comme dénonçant le malheur qui arrive dans leur relation, mais se rapproche plus d’une volonté du réalisateur de fracturer l’image pour la recomposer. Tout comme l’enfant qu’il était, Bergman décompose l’image de la pellicule pour pouvoir créer à nouveau par-dessus. Le cinéma reconstruit sa propre réalité à chaque changement de plan, mouvement de caméra. Ici, Bergman recompose son image en même temps que ses personnages, montrant deux visages rassemblés en un, où Mme Volger et son infermière ne sont plus qu’une personne finalement loin d’être différente, montrant finalement une vérité, comme si elles n’étaient qu’une seul et même personne. Par ce plan, Bergman affirme cette volonté de création par la recomposition même de l’image, cherchant la vérité. Et là où il me semblait que Bergman opérait une sortie de la diégése de son film, on peut comprendre autrement que le film nous montre une réalité supérieur à la diégése même de son film, comme si le chef opérateur et le cadreur n’étaient finalement les créateur de ce monde, se positionnant au-dessus de leur création, comme le montre le miroir affichant le visage de Mme Volger sur un lit, la caméra en face d’elle. Il est intéressant de noter que Bergman ne se situe pas en créateur dans ce plan, comme pour impliquer le spectateur dans une réelle diégèse. Imaginons un instant que l’on aurait aperçu Ingmar Bergman dans le plan, l’univers que ce dernier tend à créer en deviendrait tout de suite factice. Alors certes, les deux personnages présent sur le plan ne sont pas des acteurs, le chef opérateur n’étant autre que Sven Nykvist qui a longtemps travaillé avec Bergman. On en revient à une vision plus politique, proche de Godard, étant donné que le réalisateur donne la place de la création à ceux qui font l’image, et qu’il ne dirige pas le projet dans cette image. Il ne filme pas le patron, mais les employés. Ce plan peut s’envisager sous cette forme là, ce qui repondérait à ma question d’origine : Bergman ne trahit pas son spectateur, il lui montre la vérité en le plongeant dans un univers où la création de tout vient du cinéma.
Pour conclure, on comprend assez bien les différentes expérimentations sur le médium cinématographique sur lequel Bergman s’est penché, et à quel point l’on peut comprendre ces images sous diverses angles. Que ce soit extradiégétique, comme une information sur la tension naissante entre les deux personnages, intra-diégétique, tel un univers créé par la caméra elle-même, Bergman est allé puiser au-delà que de ce qui avait déjà pu exister. Le cinéma est alors pleinement compris comme un outils faisant partie même de la création, jusqu’à en faire partie intégralement. Le réalisateur suédois utilise certes ces idées de manière bien singulière, intégrant la caméra de façon bien perturbante, mais il n’est finalement que la suite d’autres expérimentation sur l’intégration même du cinéma dans un film. On peut bien évidemment penser au film Le Voyeur qui se sert de la caméra comme outils filmant le meurtre, ou bien à d’autres plus tard, comme Blow Out utilisant le montage comme indice pour résoudre le meurtre. Dans Persona, l’utilisation du matériel technique va bien au-delà de la simple histoire, pouvant paraître à la fois à l’intérieur ou à l’extérieur de la diégèse selon la manière dont notre œil de spectateur va capturer et interpréter ces images. C’est pour cela qu’il est intéressant de se pencher sur ce film, et qu’il est finalement normal de s’étonner face à ce qu’il nous présente. Le cinéma, comme les autres arts, est à vivre de façon singulière.
Annexe :
-L’avant-scène, Persona d’Ingmar Bergman, Mensuel n°85, octobre 1968.
-Ingmar Bergman, Images, Edition Gallimard, publié en 1992 ; p46-66.
-Jacques Aumont, Mes films sont l’explication de mes images, Cahier du Cinéma, publié en 2003 ; p177-181.
http://www.lebleudumiroir.fr/critique-persona-bergman/https://www.cineclubdecaen.com/realisat/bergman/persona.htm
De nombreuses informations ont été utilisé à partir des cours de méthodologie et d’études des textes fondamentaux lors du second semestre de L1.