N'importe qui vous dira que le film à sketches est probablement ce qu'il y a de plus compliqué à faire car il s'agit, à travers les différents segments du ou des réalisateurs, de garder une qualité constante. Il faut ainsi écarter tout temps morts pour garantir une uniformisation rythmique bénéfique pour tenir l'attention de la foule. Exercice de style très casse-gueule dont les exemples sont légions car il y aura toujours le syndrome du vilain petit canard. S'il y en a un, on peut faire montre d'indulgence si le niveau global est élevé. Si celui-ci est passable, la déception parvenue au générique de fin est bien réalité. Qu'on se le dise d'emblée, "Peur(s) du noir" ne déroge pas à cette règle immuable indépendamment de la volonté du genre. Pour autant, cela en fait-il une expérience désagréable ? Loin de là et il pourrait même s'illustrer comme l'un des meilleurs représentants du film à sketches, déjà par son thème sombre explorant les peurs ancestrales de l'humanité. Le pari est ambitieux et à même de ressusciter notre propre page psychopathologique. Six dessinateurs vont s'atteler à cette oeuvre dont j'en attendais beaucoup. Je tâcherai de développer succinctement chaque histoire.


1) Un homme au visage menaçant se balade dans des paysages fantômes avec quatre chiens enragés tenus en laisse. Il croise des personnages insolites sur qui il lâchera chaque fois un chien pour les tuer non sans les avoir réduit en charpie au préalable. La peur de la férocité animale n'est pas nouvelle et je dois moi-même dire que le coup du canidé dangereux fait toujours son sale effet. Jadis, j'avais été poursuivi petit par un rottweiler avec tout ce que cela peut comporter d'adrénaline en lui échappant au grand dam de mon ami qui a eu un peu moins de chance. Je vous rassure, plus de peur que de mal. Le dessin met dans l'ambiance : glauque, glacial avec des expressions faciales inquiétantes. 8/10


2) On passe ensuite à Charles Burns, seul personnage que je connaissais et dont j'avais lu l'étrange "Black Hole". Il était assez amusant de voir son style singulier en mouvement. Dans ce récit, un homme timoré et introverti va s'abandonner dans une relation toxique avec une femme possessive, le tout avec la présence oppressante des insectes sortant de plaies ouvertes. Bon, la peur de ces petites bêtes n'a pas d'âge et si je ne me suis pas senti concerné, d'autres risquent fort bien de ne pas être à leur aise devant. Un segment déstabilisant dans le grand style surréaliste de son auteur. Le plus difficile d'accès des histoires longues. 7,5/10


3) La troisième histoire se déroule dans un paysage japonais avec une petite fille dont la maison est située près de la tombe d'un samouraï. Des rumeurs de malédiction lancées par les élèves ne tarderont pas à se faire et avec elles le harcèlement scolaire. On explore ainsi le riche folklore nippon et ses yokais. S'y retrouve aussi la peur de la piqûre qui est assez fréquente chez les plus jeunes. Le dessin est à mes yeux le moins bon (si l'on excepte un cas à part) et tranche avec le noir et blanc installé par les 5 associés. Reste une fin dérangeante. 7/10


4) Cette histoire n'en est pas vraiment une et ne se résume qu'à des réflexions d'artiste disparates sur le sens de la vie, la politique ou l'anthropologie. Des formes géométriques se font et se défont, servant de simili entractes entre les longs récits. Disons le clairement que c'est le vilain petit canard de service qui n'a rien à nous offrir tant en terme artistique que scénaristique. 4/10


5) Cette avant-dernière histoire se nantit à mes yeux des plus beaux dessins qui sont parallèlement les plus macabres. Dans une petite bourgade de campagne, des individus vont disparaître et se profile alors la présence d'une créature inidentifiable dont l'aura n'est pas sans rappeler la mythique bête du Gévaudan. On y décèle la peur de l'enlèvement et de l'inconnu dont cette dernière fait partie des fondements de l'humanité. On plonge dans ce bourbier le quasi sourire aux lèvres. 9/10


6) Le dernier segment est le point culminant de cette chrestomathie. Elle explore la plus horrible peur enfantine : l'obscurité. Celle que l'on est incapable d'interpréter, celle où tout peut se produire à notre insu, où l'imagination matérialise dans notre esprit les créatures les plus repoussantes. L'obscurité est synonyme d'abandon et d'impuissance car on ne sait jamais ce qu'elle renferme. C'est en cela qu'elle est si perturbante. Et jeune je n'y ai pas échappé, d'où le fait que le destin de ce type m'a rappelé de "bons" souvenirs. Ce brave personnage, prisonnier d'une maison plongée dans le noir, n'a qu'une minable source de lumière qui ne parvient en rien à atténuer l'obscurité. Le silence est pesant et des apparitions furtives d'un être cauchemardesque sèment le doute dans notre esprit sur le niveau de danger qui se trouve dans cette bâtisse perdue au milieu de nulle part. Cette histoire apporte tout son sens au titre du film et sa fin aussi simple qu'efficace nous laisse pantois. 10/10 tout simplement.


Véritable autopsie mentale, "Peur(s) du noir" nous confronte aux peurs les plus courantes qui réveilleront systématiquement en nous la crainte subie par notre innocence juvénile. Une petite pépite que l'on évitera (mais vous vous en doutez déjà) de mettre entre des mains enfantines. Sauf si vous voulez accentuer leur(s) peur(s). C'est comme vous voulez.

MisterLynch
8
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le 29 déc. 2022

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MisterLynch

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