Le fil invisible du titre est peut être celui qui relie les points de l’œuvre de Paul Thomas Anderson, une filmographie éclectique mais avec toujours en première ligne une rigueur absolue de mise en scène épousant de manière impressionnante les sujets et les genres divers et variés. Il semblait impensable de passer de l'univers d'Inherent vice, polar hippie sous drogue avec une intrigue aux ramifications inextricables, à celui rigoureux et guindé de la haute couture anglaise. Cela semble pourtant être d'une exemplaire facilité pour PTA.


L'univers précieux du couturier Woodcock est développé grâce une mise en scène stricte dont l'attention aux moindres détails force le respect. Comme dans les précédents films de PTA la reconstitution est tirée au cordeau et malgré le quasi enfermement de tout le film dans l'appartement du couturier, les costumes, les décors ainsi que la direction d'acteur impeccable donne une certaine idée de la haute société anglaise des années 50's. Un des climax de cette mise en scène millimétrée est la scène de prise des mesures d'Alma, ou l'on voit se dérouler en gros plan, de manière répétée et séquencée, le mètre du couturier comme si celui-ci mesurait non plus Alma mais le cadre de la caméra. La conclusion tombe "Vous êtes parfaite".


Le film aurait pu sombrer assez facilement dans l'austère ou au minimum mener à une certaine lassitude sans justement le personnage d'Alma. Alma séduit Woodcock, mais Alma apparaît en trébuchant, Alma mange en faisant du bruit, Alma parle de manière familière. En définitive Alma n'appartient pas à ce monde. Le fait d'avoir choisi une actrice peu connue renforce d'ailleurs cette impression de ne pas être à sa place face au monstre sacré qu'est Daniel Day-Lewis. Le film pose alors la question de savoir si ces deux personnages que tout oppose peuvent véritablement s'aimer, et si oui, sous quelles conditions ? Depuis The master, PTA tente une approche plus psychologique et centrée sur peu de personnages de son cinéma (et son cadre s'est d'ailleurs resserré du 2.35:1 au 1.85:1). Cette approche semble atteindre ici son apogée dans un quasi huis clos à trois. La fin apportera enfin des réponses, pas forcément celles attendues, mais diaboliquement romantiques.


Un dernier point qu'il me semble important de noter est l'utilisation originale de la bande son. Alors qu'au cinéma, la musique vient souvent mettre l'emphase sur des scènes particulières, ici c'est l'inverse qui se produit. Une musique constante envahit le film comme une ritournelle lors des essayages de costume ou des défilés. La musique suit la politesse des personnages qui n'énoncent que mondanités et mots gentils. Mais c'est lorsqu'elle s'arrête, et que la place est faite au silence puis aux vérités, que s'engage alors les réparties cinglantes entres les personnages, passages les plus intenses du film.


PTA signe donc encore une fois un film implacable et extrêmement maîtrisé, sûrement le travail le plus mature de sa filmographie dont on espère que la suite nous réservera encore des surprises.

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le 18 févr. 2018

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yhi

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