Petite chronique que je remets ici à l'occasion de la ressortie officielle du film en salle le 13 septembre 2017. Au passage, très curieux de voir cette affiche de l'époque sur Sens critique qui essaye de vendre le film comme un simple film d'invasion basique d'insectes presque géants. Rigolo, parce que c'est tout sauf ça.
(edit : l'affiche à été mise à jour depuis, cool !)
"Extrait du manuel de la ruche : Dans la sélection des ouvriers, reproducteurs et des divers spécialistes, dans le développement d'une conscience de La Ruche par tous les mécanismes chimiques et manipulatifs dont nous disposons, le programme de notre société coopérative s'esquisse avec un potentiel de permanences qu'il faut contrôler avec d'infinies précautions. Ici, chaque générations vient au monde en tant que continuation des précédentes, et chaque individu comme un prolongement des autres. C'est dans les conséquences de cette extension que nous devons édifier notre place dans l'univers."
(Frank Herbert - La ruche d'Hellstrom)
Unique film dans la carrière du génial graphic-designer qu'était Saul Bass (les génériques d'Alfred Hitchcock ou Martin Scorsese, le plus souvent c'est lui), Phase IV est une production étrange, fascinante et quasiment unique où la visée métaphysique côtoie le suspense d'une confrontation assez inédite entre l'Homme et l'insecte. A travers ce film à la fois proche du thriller comme du documentaire, Bass montre intelligemment ce qui arriverait si l'Homme était confronté à une espèce aussi intelligente et quasiment plus nombreuse que lui, suffisamment forte pour se débarrasser de n'importe quel prédateur bien plus gros peu importe sa taille. Un peu comme dans les films de zombies, c'est ici l'idée de la masse, inéluctable et déferlante, toujours plus nombreuse, qui devient une menace à long terme.
Une idée brillamment illustrée dans les rares attaques de fourmis, que ce soit sur une tarentule qui se fait littéralement submerger et dévorer vivante en accéléré comme une pauvre souris du désert par des masses qui refluent sans cesse (les séquences font vraiment froid dans le dos, assurément) ou ces champs de cadavres de fourmis décimées par l'insecticides et alignées comme des morts à la guerre (avec des choeurs de veillée funèbres qui indiquent froidement que Bass a pris largement le parti des insectes). Surtout, Bass filme le tout avec une rare précision (les plans macro d'insectes de Ken Middleham sont hallucinant, les cadrages, couleurs, motifs, le son même) et ne montre habilement les humains qu'au bout d'une vingtaine de minutes et encore, en réduisant le nombres d'interprètes pour déboucher sur un huis-clos entre la station d'expérimentation et ses occupants et les races unifiées de fourmis à l'extérieur.
Dès le début, Bass nous emmène chez ses fourmis, véritables personnages à part entières du film. Une ouverture en exposition nous indique clairement que ce n'est pas l'humanité qui sortirait grandie d'une confrontation. Malaise. Les 4 phases du titres renvoient à plusieurs moments bien distincts où les insectes, ayant pris conscience de leur soudaine évolution montent une organisation et décident de tester leurs congénères humains. Ceux-ci croient pouvoir expérimenter sur les insectes. Fatale erreur, on comprend vite au cours du film que ce sont eux les rats de laboratoire à qui l'on va dangereusement faire violence afin d'obtenir des réactions désespérées qui pourraient servir les insectes. Face à la violence qui leur est faite, les fourmis mettent au point des techniques d'attaque et d'adaptation incroyable. Attaque avec ces structures faites d'un amalgame de plusieurs matières qui réfléchissent la lumière du soleil afin de faire brûler l'adversaire (technique déjà utilisée dans l'antiquité par les grecs avec pas mal d'efficacité semble-t-il). Adaptation en créant de nouveaux insectes immunisés par le biais de la Reine, pouvoir central en place, véritable usine à soldats de plus en plus indestructibles. Il faut voir cette séquence incroyable où une par une des fourmis ramènent un des flocons d'insecticides et meurent à chaque fois en se passant le relais jusqu'a ce que cela arrive jusqu'a la Reine qui analyse l'objet et l'ingère pour créer la prochaine génération de fourmis immunisées.
Sorti en 1974, je ne serais pas étonné que ce film puissant et fascinant ne s'inspire pas totalement de deux oeuvres intéressantes qui l'ont précédé, je veux parler du documentaire des "Chroniques d'Hellstrom" de Walon Green et Ed Spigel (1971) et de "La ruche d'Hellstrom" du romancier Frank Herbert (1972). Le documentaire évoque le travail de Nils Hellstrom, entomologiste fasciné des insectes qui évoque la puissance de ceux-ci face à l'espèce humaine comme une sorte d'avertissement.
Bien sûr Hellstrom n'existe pas, c'est un acteur qui l'incarne et joue le rôle avec brio, apportant un poids non négligeable à une oeuvre mi-fiction, mi-documentaire. Le livre de Frank Herbert, l'auteur de "Dune", part du nom d'Hellstrom qu'il reprend littéralement après accord du producteur pour créer l'hypothèse inquiétante de toute une colonie d'humains qui depuis 300 ans vivent en parallèle de l'humanité en s'inspirant du mode de vie social des insectes. Pour offrir une couverture à "la ruche" et financer ses travaux inquiétants (qui sont bien plus avancés que ceux du reste de l'humanité), Nils Hellstrom tourne des films sur les insectes qu'il revend au monde extérieur. Les choses se gâtent quand des agents du gouvernements viennent enquêter sur ce que recouvre la modeste ferme d'Hellstrom... Dans Phase IV, on retrouve cette considération d'une race ou créature en parallèle de l'humanité qui dispose aussi de moyens puissants et avancés, sauf qu'ici, ce sont littéralement les insectes. Soit des idées du documentaire fictif comme du livre, brillamment reprises dans un film complexe et plus qu'inquiétant.
Dans les acteurs, rien de bien transcendant (ce sont les insectes qui fascinent littéralement) mais on notera le joli minois de Lynne Frederick, magnifique jeune fille alors, qui fut célèbre non pas pour ses prestations filmiques mais pour avoir été la dernière compagne du comédien Peter Sellers. Et pourtant, on ne peut nier qu'en tant qu'actrice, il y a bien quelque chose qui passe dans le beau visage troublé de cette jeune fille courageuse qu'est Kendra, sauvée de justesse et condamnée à supporter ces deux étranges scientifiques un peu étrangers à son sort. Une actrice peu connue qui connaîtra une fin tragique en 1994 des suites de la solitude et de l'alcoolisme à 39 ans, comme si elle avait déjà trop vécu.
Phase IV ? Un film qui vous fera revendre votre DVD de Microcosmos.
Non je blague. On peut faire coexister les deux oeuvres bien sûr. Comme les humains et les insectes peuvent coexister.
Enfin je crois.
Je suis en fait pas si sûr que ça...