C'est vrai qu'on l'aime bien ce McCarey ! On aime bien se replonger dans toutes ces comédies si pétillantes et si légères, ses films avec Laurel et Hardy, les Marx Brothers ou avec Cary Grant... C'était une époque où faire rire était une chose sérieuse et Leo, lui, faisait cela avec talent ! Oui mais voilà, notre homme décida un jour de sortir des sentiers battus de la comédie US pour réaliser un film très personnel et pas franchement drôle... Quelle idée, quand même ! Et encore, s'il devait faire une gentille romance comme An Affair to Remenber … mais là, non, il parle du sujet qui intéresse le moins le public, d'hier comme d'aujourd'hui, à savoir les "vieux" ! Alors évidemment devant un sujet aussi peu glamour, son film fut un échec en salle ! Et comme pour bien lui faire comprendre qu'on (le public, les studios...) attend de lui que de la légèreté, cette même année on lui décerne l'Oscar pour "The Awful Truth"... une pure comédie, bien sûr !




Et pourtant, si l'on prenait le temps de s’arrêter sur "Make Way for Tomorrow", on verrait que le cinéaste aborde le drame avec la même justesse, la même simplicité et la même limpidité que la comédie. Il a beau aborder un sujet éminemment délicat, jamais il ne verse dans le pathos ou la mièvrerie. Son cinéma reste celui de la sincérité et des émotions, les effets putassiers et la fausse condescendance n'y ont pas leur place.




Le film aborde la question de la vieillesse dans l'Amérique des années 30, au moment de la Grande Dépression, mais la force du propos est tel qu'il est toujours d'actualité aujourd'hui, surtout dans nos sociétés occidentales, fortement individualistes ! L'histoire nous montre le destin ordinaire d'un couple de retraités, durement endetté, contraint de quitter leur logement pour aller s'installer séparément chez leurs enfants. McCarey évoque ainsi le fossé générationnel, source de mésentente et d'incompréhension. C'est incroyable comme on se croirait presque chez Ozu, il y a un côté "Voyage à Tokyo" qui se dégage des premières minutes puisqu’on y retrouve cette même sécheresse dans le ton, cette même pudeur à nous montrer l'incommunicabilité entre les générations. D'une manière semblable à celle de son confrère Japonais, mais avec ses propres mots, McCarey nous fait sentir l'incroyable influence du poids des années dans les relations quotidiennes. Car malgré les liens unissant les différents personnages, les années semblent être une barrière insurmontable, surtout en temps de crise ! Sil y a bien une notion qui parcourt le film en filigrane, c'est bien celle de l'argent. Oui, on a beau les aimer ces "vieux", mais ils coûtent cher et sont inutiles ! C'est avec un ton doux amer que McCarey dépeint cette situation en prenant bien soin de ne pas fustiger des "jeunes" forcément égoïstes et de ne pas idéaliser des "vieux" fortement sympathiques ! On comprend facilement les difficultés de la jeune génération à accueillir leurs parents : difficultés financières, logements exigus... Mais malgré les efforts des deux partis, le quotidien ne fait que révéler cruellement l'impossible entente entre les générations. McCarey filme les changements d'attitudes, les regards en coin, les petites phrases aux sous-entendus à peine masqués, pour illustrer assez finement cette impossible cohabitation. On sourit doucement en voyant Ma' s'imposer bruyamment dans une soirée organisée par sa belle-fille, ou Pa' rappeler à sa fille son caractère bien trempé ! Alors évidemment, l'amour ou le respect disparaît progressivement des relations pour laisser place à la lassitude et à la honte. Les jeunes vont cacher ces vieux qu'ils ne peuvent plus voir, se les échangeant entre eux comme on se refile une patate chaude. Et là, on retrouve toujours la finesse de McCarey qui, au lieu de fustiger cette situation, se contente de la regretter !




La dernière partie du métrage est consacrée aux retrouvailles des deux parents, c'est l'occasion pour le cinéaste de déployer toute sa tendresse pour ce couple qui a su traverser les âges, histoire de nous montrer que les vrais sentiments existent toujours dans nos sociétés individualistes. Cette partie est aussi amusante qu'émouvante, le vieux couple remonte le temps en quelque sorte pour revivre une seconde lune de miel, regagnant ainsi une dignité que la société moderne leur avait enlevée. On rit aussi bien qu'on pleure devant ce film, on est gagné par la mélancolie et par l'amertume, mais on est surtout touché par la justesse de ton de McCarey ainsi que celle du couple Beulah Bondi /Victor Moore. "Make Way for Tomorrow" demeure un film assez singulier, agissant comme un miroir nous révélant une certaine réalité que nous ne sommes pas toujours prêts à regarder.

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le 13 oct. 2023

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Procol Harum

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