Tâche ardue que d’adapter le bouleversant roman de Masuji Ibuse, empli d’horreurs et d’indignations. Défi que ce film contourne partiellement en offrant un récit plus centré sur le « présent » de la narration (le roman étant largement composé de flash-backs des jours qui ont suivi le bombardement) et le destin d’une famille qui, ayant survécu à l’impact initial, voit lentement la maladie atomique les ronger.
Au long récit des atrocités rencontrées à Hiroshima, dont nous retrouverons néanmoins quelques figures emblématiques dans les premières minutes du film (le jeune garçon si méconnaissable que son frère refuse de le reconnaître, la femme coincée dans les décombres de sa maison qui jette des tuiles sur les passants)… sera ainsi largement préféré un contenu nouveau, apporté pour enrichir un segment temporel moins développé dans le livre.
Il s’agit certes là d’un choix intéressant, car il aurait été impossible de traduire à l’écran les visions cauchemardesques qui arrachent, sous la plume d‘Ibuse, des larmes même au lecteur le plus averti. Cependant, il est évident que le récit perd ici de sa force, faute de pouvoir véritablement témoigner de l’atrocité d’un spectacle d’agonie et de désolation.
Disparus, aussi, la précarité, le manque des ressources les plus vitales, la recherche des survivants et le moral déclinant d’un pays qui, la mort dans l’âme, se prépare au combat sur son propre territoire - convaincu qu’en cas de victoire des américains, tous les japonais seraient stérilisés.
Surtout, il semble que l’on ait voulu transposer le tragique, largement attaché aux âmes hagardes et cérémonies funestes emplissant le roman, en exagérant à outrance les événements du « présent » : morts subites et hallucinations des irradiés se multiplient, de même que les prétendants pour Yasuko, un à un repoussés par la rumeur selon laquelle elle a reçu la pluie noire, radioactive, retombée sur Hiroshima après l’explosion de la bombe.
Ces éléments sont bien entendu présents dans les pages d’Ibuse, mais de manière plus mesurée : ils laissent le témoignage d’un processus au long court, qui hante chaque jour sans que l’on sache jamais prédire l’instant où il va mordre. L’enchaînement d’un grand nombre d’événements similaires dans le film me semble au contraire anéantir l’aspect pernicieux de cette angoisse invisible.
Surtout, il manque ce rien de pudeur qui enveloppe le roman : même dans les descriptions les plus sordides qui font monter un haut-le-cœur, il reste malgré tout une indicible dignité, celle d’une vie qui a perdu tout son contenu mais tente de maintenir sa contenance. Il est bien difficile, sans elle, de prendre la mesure de la détresse intérieure qui ravage les âmes.
En fin de compte, il ne s’agit pas là d’une mauvaise adaptation, puisqu’elle a su faire des choix rendus sans doute nécessaires par son nouveau média – bien qu’un peu plus de finesse aurait été bienvenue. Cependant, dans le processus, le message a grandement perdu de sa force, et d’un livre bouleversant naît ainsi un film sensibilisant. Il me semble même que certaines exagérations témoignent justement d’une volonté de dénonciation, dans laquelle le roman, parce qu’il conserve l’illusion d’une simple exposition, réussit bien mieux.
En un mot, il reste à ces scènes un aspect trop artificiel qui empêche d’aller chercher, chez le spectateur, l’empathie primaire et universelle, et qui émousse le plaidoyer en le rendant trop évident.