Pola X
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Pola X

Film de Leos Carax (1999)

J’aurai voulu être un art triste

Au royaume du LéosCaraxland, les choses ne se passent pas comme dans la vraie vie, et c’est pour ça que tant de gens aiment s’y perdre. Les événements qui y surviennent et les gens qui y vivent sont si différents que tous les repères habituels disparaissent, ce qui peut effrayer le voyageur aimant les repères fiables et traditionnels.


Au royaume du LéosCaraxland, les châtelains blonds tombent éperdument amoureux de châtelaines blondes, à qui ils jurent fidélité absolue. Mais comme leurs châteaux respectifs sont séparés par de larges étendues de vie réelle dans la France de 1999, le jeune prince intrépide doit chevaucher un fidèle destrier qui a épousé les formes d’une motocyclette malicieuse, aimant parfois se jeter sans raison sur les voitures garées sur les bords de son trajet.


Au royaume du LéosCaraxland, l’amour est bien entendu total et prend souvent de singuliers détours. Quand le fougueux nobliau apprend l’existence d’une sœur cachée, il oublie dans la seconde sa jeune promise pour se jeter dans le lit de la nouvelle venue, oubliant dans son aristocratique rut qu’il pratiquait déjà un inceste qui ne disait pas son nom avec une mère qu’il appelait sœurette. Ce royaume est en effet assez difficile à décrypter.


Au royaume du LéosCaraxland, ce personnage de sœur surgissant comme une poussée d’herpès peut donc débouler dans l’univers du héros en une fraction de seconde, et troquer une fuite éperdue avec un discours abscons interminable, avec un accent que refuserait catégoriquement un novice du cours Florent, au cours d’une promenade nocturne dans une forêt stupéfaite par tant d’incongruité. Heureusement, par la suite, cette protagoniste ne parlera presque plus, devenue très triste après avoir testé sans succès l’introduction de l’organe génital du jeune prince au fond de sa gorge pour améliorer sa diction.


La châtelaine blonde n’en voudra bien entendu pas au jeune prince déchu qui l’a laissé choir comme un spectateur de Bigard qui pensait pouvoir assister à un spectacle de son chouchou sans pass sanitaire, et décidera de rejoindre le couple ombrageux pour le regarder copuler tout en y perdant la santé.
Il ne faudrait pas faire les choses à moitié, on n’est pas comme ça chez les châtelains. Mais heureusement, la jeune princesse a le loisir de se mourir juste au-dessus d’une troupe d’artistes aussi nombreuse et désœuvrée, pratiquant les percussions électriques à vocation répétitive. Un seul morceau pendant des mois, sinon on n’est pas des vrais troubadours du LéosCaraxland.


Au royaume du LéosCaraxland, au cours des différentes histoires racontées, les acteurs, toujours, souffrent physiquement. Quand ils ne sautent pas dans la Seine, ils se frottent le front sur le bitume ou arborent de désagréables lentilles pour nous rappeler en permanence que la beauté se situe dans l’œil du spectateur. Cette fois, c’est Catherine Deneuve qui s’y colle en montrant une poitrine qui n’avait alors encore rien perdu de sa superbe malgré les effets retords d’un bain chaud sur la gravité.
(Les films situés dans le LéosCaraxland étant toujours étonnants -on ne peut pas leur enlever ça- pour une fois, il sera donc possible d’accoler les notions "Catherine Deneuve" et "chaleur" dans une même phrase).


Au royaume du LéosCaraxland, les règles du storytelling n'ont jamais été abolies pour la simple raison qu'elles n'ont jamais vu le jour. Son dieu créateur n'exprime rien d'autre que sa boulimie de composer des images. Et c’est bien un des grands paradoxes du bonhomme que de n’être jamais meilleur que quand il ne raconte rien. Pourquoi s’obstine-t-il à contraindre ses rares fulgurances visuelles par de laborieuses histoires ?


Au royaume du LéosCaraxland, les artistes sont forcément maudits. Et quand la malédiction ne vient pas d’un ciel tempétueux et malveillant, l’artiste doit faire le boulot tout seul. Ainsi le jeune châtelain quitte son nid douillet sans réelle raison, pour aller vers la folie et la mort comme un grand. Il n’a pas besoin du destin. Et comme il est le miroir du créateur du royaume, on peut imaginer le démiurge Léos Carax décider avec rigueur quelles avanies artistiques lui feront oublier ses origines bourgeoises.
D’ailleurs, il l’a un jour déclaré: "J'ai fait du cinéma pour être orphelin".
La malédiction de beaucoup de ses spectateurs est semble-t-il de ne pas avoir les ressources pour pouvoir être adoptés.

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le 4 août 2021

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guyness

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