En génial faussaire des genres, Billy le dingue, s’en vient bouffer du polar eighties post Miami Vice, en dynamitant à peu près tous les codes. Il est particulièrement compliqué d’appréhender, et d’une le cinéma du bonhomme, et d’autant plus ce film là, et de deux, sa façon de mettre en place les enjeux de cette intrigue totalement carabinée et de jouer avec les poncifs inhérents, en les transfigurant, leur préférant la voie triviale et fortement vulgaire à la stylisation pure.
Dans un premier temps, il reforme le duo éternel du polar tendance buddy-movie, classique, le jeune chien fou et le vieux flic expérimenté qui bosse sa dernière enquête avant d’aller taquiner le goujon, et qui se fait dessouder au bout d’un quart d’heure. Bon. Les enjeux viennent déjà d’en prendre un coup.
L’apparition du faussaire avec un Willem Dafoe, en espèce de prince des ténèbres, personnages sexuellement très ambigu, qui commence par brûler son art, et le troquer contre la création de fausse monnaie. Doit-on y voir une métaphore sur le rapport du cinéma à l’argent, de l’artiste qui vend son âme… et à qui la vend-t-il ? Je vous le donne en mille.
A ce « méchant », il oppose un William Petersen, en flic implacable, avec son jean moule-bite et ses déhanchements de cow-boy ridicule… where is my Clint !!! Les deux vont se traquer comme on se drague et annihiler les effets de style du polar dans une sorte de déviance visuelle absolue. L’art du transformisme selon Bill le fou.
Faut-il faire abstraction des œuvres passées du bonhomme ? Al Pacino qui enquête dans le milieu gay sm new-yorkais, la gamine de l’Exorciste qui se masturbe avec un crucifix, soit la rencontre du sacré et des premiers émois pré-pubère, quatre salopards qui vont s’enfoncer dans les profondeurs de l’enfer vert et qu’on finit par considérer comme des héros. De tout temps, Friedkin a aimé jouer avec nos ressentis, et notre sens moral. Il adore mettre à mal ce moment où notre conscience nous interroge sur la moralité de telle ou telle chose. Avec To Live and Die in L.A. il remet le couvert dans une sorte de free-style grossier et déstructuré, qui peut rapidement provoquer interrogations quant à sa santé mentale. Le bonhomme est pourtant sacrément malin et manipulateur. Écoutez ses diverses interviews, c’est croustillant.
En explorateur de la psyché humaine, à coups de pelleteuses, qu’il est, il prouve qu’il est aussi capable d’impressionner visuellement. La scène de course-poursuite est probablement le morceau de bravoure le plus dingue du genre. Pour qui a pu visiter la ville de Los Angeles, et emprunter son périphérique en voiture, il est absolument inconcevable de le prendre à contre-sens, sans provoquer immédiatement un bordel monstre, Friedkin l’a fait. Et il vire tellement dans le démesuré que ça en finit par devenir totalement bordélique, on ne sait plus qui poursuit qui, des tireurs embusqués qui apparaissent d’on ne sait où et se mettent à tirer au fusil d’assaut, ça en devient absurde au point qu’on ne peut qu’être admiratif devant une telle abstraction.
Inégalé dans tous les genres qu’il a abordés, ce métronome de la contamination par un mal auquel il croit, ce prêcheur punk de l’absolutisme, emprunte avec To Live And Die in L.A., une nouvelle fois, la voie de l’abstraction et du dynamitage en règle, sans jamais se départir de l’idée que le cinéma c’est le mensonge, et que le mensonge est une vérité.