"Language is a virus."
Cette phrase résume bien le propos du film, mais c'est à la base chez William S Burroughs qu'on la trouve, big boss de la Beat Generation (aux cotés de Kerouac et Ginsberg, puis du mage Brion Gysin), écrivain tour à tour romancier, expérimentateur, ou sorcier utilisant les failles du langage comme source de magie, polytoxicomane éclairé, génie, mais avant tout un explorateur de la conscience, de ses zones d'ombre.
Mais parlons d'abord du film; puisque tout est lié, autant commencer par là.
Dans la ville de Pontypool, un animateur radio célèbre sur le déclin anime un show de façon acerbe, agressive et tout en finesse et en bizarrerie, ce qui n'est pas au goût de sa productrice, consciente des attentes plus conventionnelles de leur auditoire campagnard. L'assistante, dernier membre de l'équipe semble plutôt réceptive au jeu de voix de l'animateur. Une tempête de neige souffle dehors, quand on reporte, à quelque kilomètres de là un incident troublant, une sorte d'émeute étrange où tous répétaient une même phrase creuse, tel un mantra. Pensant d'abord à un canular, l'équipe reçoit de plus en plus d'appels alarmants. Il se passe quelque chose à Pontypool, de terrible, de violent.
C'est via un huis clos très bien géré que l'ambiance pesante s'installe, sans pour autant nous laisser nous ennuyer (comme c'est malheureusement souvent le cas dans les huis clos cinématographiques), et la justesse des dialogues, de l'écriture permet à ce film à budget limité d'esquiver la case "série B" avec brio. La permformance de Stephen Mc Hattie y est pour beaucoup, excellente, entre voix profonde et patinée et son coté décharné, usé, fragile, beauf, il est à l'aise et nous le fait sentir, porte le film sur ses épaules sans sourciller. Le rythme ne faiblit pas, ne donne pas dans la pesanteur facile et étouffante, et les moments de tension portent.
Mais revenons à Burroughs, car c'est le centre du propos du film, et attention, peut être que ce qui suit serait considéré comme spoiler, même si le savoir ne nuit pas à l'intérêt du film.
Le langage se propage par contagion. Si derrière certains mots, quelque chose se cachait, dans les replis du sens, une entité, un monstre, un alien virtuel, il suffirait que le mot soit prononcé, compris pour que la colonisation de votre esprit commence.
Burroughs voyait ça plus fondamentalement, comme le fonctionnement essentiel du langage, par contagion, s'imposant dans nos têtes, et par là même imposant les limites du monde, sa texture, tout ça par le langage commun. Il met en partie le Cut Up (découper puis recoller dans le désordre un texte pour briser les lignes du Texte et ouvrir celles des prophéties, des synchronicités, de l'avenir, de l'extérieur du langage et du temps, attaquer le réel en attaquant le langage...etc) et ses Shotgun Poems (permutation systématique des mots d'une phrase du genre "Who Controls the Control Men ?" pour créer entre les mots des relations inédites et interdites, révéler ce qui se cache dessous) en place en guise de lutte contre le langage et d'outil pour faire pêter la réalité aux coutures. Il va même beaucoup plus loin en s'intéressant à la magie et en utilisant le Cut Up en tant qu'arme magicke. Mais bon, arrêtons là avec Burroughs. "Language is a virus", c'est lui qui l'a dit, c'est tout ce qu'il faut retenir.
Mais si Pontypool tient d'un autre monstre sacré, c'est bien de Philip K Dick et sa trilogie divine. Idée analogue : les manuscrits de la mer morte sont destiné à germer dans l'esprit du lecteur, une fois les idées comprises, elles colonisent l'esprit et tendent vers le décuplement. Pour l'hote, ça ne change rien, si ce n'est qu'il éprouve le besoin de transmettre la "bonne parole" ; chaque personne qui comprend l'idée en question devient un hôte, abritant un alien virtuel dans son espace mental. Fou, comme idée ? Oui et non. Pensez au nombre de colonisations par l'Idée à travers l'histoire et vous trouverez certainement quelques exemples qui vous parleront, que ce soit dans la religion, la politique, le nazisme, saturés d'idées qui ne peuvent pas être contenues, qui doivent se développer, se partager, trouver de nouveaux hôtes.
Bref, tel semble être la mal qui frappe Pontypool, des mots infectés qui, lorsqu'ils sont compris, vous transforment. "Un monstre gigantesque frappe la membrane qui sépare le langage de la réalité et trouve des fissures". Brrrrr.... L'idée m'a vraiment fait frissonner.

Sans donner le fin mot de l'histoire, de Burroughs à Dick, on aboutit à Deleuze et sa préface du Schizo et les Langues de Louis Wolfson où il décrit la lutte schizophrénique d'un patient qui exprime un rejet fondamental de la langue maternelle qu'il va tenter de déconstruire en passant par les langues étrangères. Il entendrait Pool en langue maternelle anglaise et le transformerait en Poule en français par exemple, donc une lutte de tous les instants via l'analogie, l'anaphonie et l'anagraphie pour se dégager de la langue mère.

Tout ces bouquins ont l'air excellent en terme de contenu, mais certainement un peu chiants à lire. Et bien pourquoi ne pas regarder l'excellent Pontypool à la place, et VOST pour pouvoir profiter de certains passage en français dans le texte.

Si la fin est grandiloquente et un peu grotesque, ça n'en reste pas moins un film prenant, tendu, une variation sur le thème des zombies inédite qui évoquerait par certains aspect ceux du comics Crossed (que je déconseille aux âmes sensibles, vraiment), un huis clos admirablement réussi, et un film audacieux. Il mériterait même un 9, tiens!
toma_uberwenig
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le 22 nov. 2011

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toma Uberwenig

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