Au-delà des mots, le langage des signes...

PREMIER CONTACT (17,4) (Denis Villeneuve, CAN, 2016, 116min) :


Cette sublime fable de science-fiction narre l’histoire de Louise Banks, une éminente linguiste recrutée par l’armée américaine pour une mission de décryptage, après le surgissement dans douze points géographiques du globe de mystérieux vaisseaux venus de l’espace. Réalisateur canadien découvert avec le percutant Polytechnique (2009) et plus encore avec le poignant "Incendies" en 2010. Depuis Denis Villeneuve ne cesse de confirmer son talent avec le brillant Prisoners (2013), et plus récemment avec l’intense Sicario en 2015. En attendant le projet très ambitieux du Blade Runner 2049 (suite du Blade Runner de 1982 de Ridley Scott) par le biais de l’adaptation de la nouvelle L’histoire de ta vie publiée en 1998 par Ted Chiang, le réalisateur fait ses premiers pas dans le genre SF avec ce Premier Contact. Autant le dire de suite cette œuvre est un anti "Independence Day", l’ambition est bien plus profonde que cela. Dès le splendide premier plan qui découvre petit à petit un lac derrière une baie vitrée de la maison où la linguiste réside avec cette voix off accompagnant l’image : « J’ai longtemps cru que ceci était le début de l’histoire…», l’ambition se matérialise déjà aussi bien sur la forme que sur le fond. La fin du film nous démontrera à quel point ce premier plan s’avère important par rapport au parcours de Louise. Le prologue dans tout son bonheur et toute sa cruauté de la vie annonce d’emblée l’intimité du projet. Celle d’une femme brisée par le destin, survivante mécanique ne faisant pas attention au monde autour d’elle qui va devoir par ses talents linguistiques, éviter au monde de subir lui aussi l’apocalypse. En effet douze immenses pierres de 500 m de haut à la forme oblongue (ressemblant à des vaisseaux de Moebius, et à l'inéluctable référence monolithique de 2001, L’odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick) envahissent le ciel de la planète en restant en géostationnaire au-dessus du sol. Louise Banks déconnecté du monde réel apprend la nouvelle par le biais d’un écran et va se retrouver dépêchée par les forces américaines pour tenter de rentrer en contact avec le vaisseau qui se situe au-dessus du Montana en collaboration avec Ian Donnely, physicien réputé. Par le biais d’une photographie offrant des plans visuellement fascinants on découvre le camp de base établi avec logistique militaire et arsenal informatique dernier cri et ses monolithes suspendus dans les airs. La mise en scène ménage avec habileté le suspense de la découverte totale de ces ovnis venus dans quel but ? En amis ou en ennemis ? Comment rentrer en contact avec eux, le thème central du film repose sur la communication entre les êtres et montre la peur et la désorganisation de la civilisation face à l’inconnu (la parabole politique s’inscrit métaphoriquement) La narration d’une richesse infinie, comme le temps, accompagne le cheminement psychologique de la linguiste jusqu’au premier voyage sous le vaisseau qui s’ouvre comme une boîte de pandore vers un ailleurs incertain. En apesanteur comme les protagonistes notre cœur s’accélère aussi jusqu’à la première vision de ces êtres venus d’ailleurs, dont les ombres se distinguent de plus en plus derrière une vitre laissant apparaître des heptapodes, sorte d’arachnéens géants ou pieuvres à sept pattes. Comme tout premier contact le premier échange est maladroit et n’apporte pas grand-chose. Pour rencontrer l’autre il faut se mettre à nu, ce que fait Louise Banks lors d’une deuxième tentative en ôtant casque et combinaison protectrice, la caméra pudique filme cette rencontre improbable entre deux entités n’ayant aucune histoire commune avec subtilité. Le langage commence par la main et cette présentation « dans les règles » montre l’opiniâtreté et le sixième sens de cette femme qui a déjà « tout » perdu du sens de la vie. Les « monstres » semblent réagir à ce nouveau procédé et répondent au mot inscrit et prononcé par la linguiste par des jets d’encre formant des logogrammes en forme de cercles avant de s’évanouir dans une fumée noire comme une cérémonie contemplative à base de calligraphies. Alors qu’avec l’aide du scientifique Donnely, Louise entame et progresse à chaque nouvelle visite du vaisseau inconnu dans le décodage de leur propre langue, les conflits internationaux resurgissent à l’occasion d’interprétations diverses comme autant de nations qui reforment les blocs de la guerre froide. L’intrigue s’irrigue alors de géopolitique assez succinct où même la Chine semble vouloir attaquer ce qu’il conclut être un « ennemi ». Le plus pertinent de l’histoire se retrouve dans le parcours intime de l’héroïne qui au fil des contacts va voir de multiples bouleversements intérieures et toutes ses blessures résonner comme un miroir où rêveries et introspections se mélangent pour mieux s’abandonner dans un vertigineux chamboulement de soi. Des scènes époustouflantes par le biais de flashbacks et flashforwards assez judicieux et sensibles (évoquant par des scènes bucoliques Terrence Malick) où l’espace-temps se trouve totalement modifié de notre logique trop cartésienne. Ce sensationnel tourbillon temporaire tridimensionnel emmène le film dans un autre champ des possibles. La langue sert généralement toujours de vecteur de transmissions pour le passé et le futur, là l’originalité du script va démontrer par un scénario remarquablement écrit, le présent comme un bien commun qu’il faut préserver et comme une entité spatio-temporelle à savourer à chaque instant. Le récit méditatif sur le temps où formellement le cercle célèbre la vie dans une habile structure finale offre un « twist » sonnant comme l’un des plus beaux « Carpe diem » cinématographique de l’histoire du cinéma. La mise en scène de ce futur intérieur mise sur l’anti-spectaculaire (à part une explosion et quelques mouvements de navires), Denis Villeneuve mise sur l’austérité et l’intelligence de son script absolument passionnant dans ce voyage vers l’autre en étant un voyage métaphysique au centre de l’être et la découverte d’une autre civilisation et manière de penser. Cette réflexion passionnante sur le langage, l’étranger, le rapport au temps et au-delà la tragique irréversibilité de l’humanité (venir au monde, vivre et mourir) dans un éternel recommencement planétaire au fil du temps convoque aussi bien le cinéma de Steven Spielberg Rencontres du 3ème type en 1977, Contact (1997) de Robert Zemeckis, Solaris (1972) de Andreï Tarkovski et The Tree of Life (2011) de Terrence Malick pour une ode humaniste sidérante de beauté, de simplicités visuelles et de complexités rhétoriques pertinentes. Une œuvre portée par une impeccable Amy Adams, complètement à l’écoute, écorchée et émouvante bien secondée par le talentueux Jeremy Renner bienveillant physicien (et bien plus que cela…) et le convaincant Forest Whitaker colonel à l’humanisme bienvenue. Ce mélodrame surnaturel novateur est accompagné par la partition musicale expérimentale à l’atmosphère lourde et lyrique du compositeur islandais Jöhann Jöhannsson ainsi que le grandiose morceau On the nature of Daylight de Max Ritcher apportant des couches sonores magnifiques, comme autant d’écrins pour accueillir les maux…Venez à la rencontre de l’autre qui n’est au fond que le reflet de vous-même et n’hésitez pas à offrir à votre âme cet humaniste Premier contact. Audacieux. Intimiste. Fascinant. Bouleversant.

seb2046
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le 8 déc. 2016

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