Priscilla
6.1
Priscilla

Film de Sofia Coppola (2023)

Sofia Coppola N'a Pas D'Auréole [Analyse Filmique]

! SPOILER !

Comme disait Jacques Doillon : "Il y a des cinéastes qui ont des auréoles". Peu importe ce qu'ils font, même des gros ratés, leurs fans tenteront de les faire passer pour des chefs d'œuvres révolutionnaires : Scorsese, Kubrick, Wes Anderson, Godard... Je pensais que Sofia Coppola en faisait partie, mais visiblement non.

Le film est paraît-il vide et ennuyant ? Let's see that...

On introduit Priscilla dans un bar, tout de suite, la mise en scène reflète tout ce que sera la psychologie du personnage. Le placement en bord de cadre droit, avec regard sur la droite nous introduit un malaise et un isolement qui l'accompagneront toute sa vie.

On expose ensuite l'ennui profond, et le besoin d'aventure et de folie de Priscilla, indispensables à la suite du film : "rien à faire ici".

Sa rencontre avec Elvis est sobre, pas romancée comme on pourrait s'y attendre. On parle quand même d'un couple mythique, mais leur rencontre n'est pas plus mémorable que celle de deux adolescents de 15 ans à une soirée. Dans la soirée, Elvis l'abandonne, la laissant seule sur le canapé pour aller chanter et se faire acclamer par tout le monde, subtile métaphore de leur futur.

Priscilla n'est pas une groupie attirée par son argent ou la célébrité (du moins pas que), il fallait donc de la subtilité dans la mise en scène et les dialogues dans leurs premières scènes. On comprend que les deux se retrouvent dans une certaine solitude commune, car malgré sa célébrité déjà très importante, Elvis vit mal le décès de sa mère et recherche donc une figure maternelle, qu'il trouve dans cette jeune fille calme, pur, et particulièrement mature pour son âge.

Priscilla tombe vite amoureuse d'Elvis. Un amour mit en scène dans le couloir de son école où Priscilla est pour la première fois clairement dans le centre du cadre, plus décadrée comme avant, elle commence à trouver sa place, au sens figuré dans sa vie, et au sens propre dans la composition du cadre. La naissance d'un sentiment amoureux qui se traduit également par sa tenue, un gillet rose, couleur de l'amour, une couleur saturée qui rentre en opposition avec les couleurs plus fades qu'elle porte chez ses parents. Nous verrons par la suite que les tenues joueront un grand rôle tout au long du film, comme c'est souvent le cas dans le cinéma de Coppola fille.

De nouveau chez ses parents, Priscilla est filmée en bord de cadre droit avec regard sur la droite, confirmant définitivement ce sentiment d'isolement et d'enfermement chez elle.

Priscilla revoit Elvis, elle goûte à la grande vie et commence à trouver son bonheur. Un début de bonheur représenté par un vêtement cette fois-ci blanc, couleur de l'apaisement. Mais la réalité la rattrape et Elvis lui dit qu'elle doit retourner chez ses parents, dans une scène dont la composition est encore une fois annonciatrice de leur futur : Elvis sur la gauche du cadre, côté du négatif et du retour en arrière dans le langage cinématographique, et Priscilla du côté droit. Il est dans l'ombre de la pièce, habillé tout de noir, elle est dans le côté lumineux, habillée tout en blanc. Priscilla ferait donc un retour en arrière en allant vers lui ?

Elvis finit par convaincre le père de Priscilla de la laisser venir vivre avec lui. Mais très vite, on lui interdit beaucoup de choses, voir presque tout : de travailler, d'inviter des gens, et même de se montrer. Comme annoncé subtilement quelques scènes plus tôt par la mise en scène, Priscilla fait effectivement un retour en arrière (vers la gauche donc), en se retrouvant dans une situation aussi stricte chez Elvis, voir plus, que chez ses parents. Et cette solitude qu'elle ressentait chez ses parents va revenir la frapper violemment.

Dans la scène du repas, lors du retour d'Elvis, malgré le grand nombre de convives, Priscilla est complètement seule pendant toute la scène, esquissant un sourire de façade. Tellement seule que l'on a de plan d'aucun des invités, pour nous mettre dans sa situation de solitude, les gens autour d'elle n'existent pas. On commence par un plan sur Elvis et Priscilla à table, puis seulement Priscilla dans un plan de 30 secondes où elle est seule dans son cadre. Enfin pas tout à fait seule, en effet, le coude d'Elvis est en bord de cadre, toujours placé sur la gauche. Comme pour montrer qu'il est avec elle, sans l'être complètement, seulement un bout de lui est avec elle. Ce qui est inévitable quand on partage sa vie avec la plus grosse rockstar du monde, et que tout le monde se le déchire.

Elvis est en effet toujours entouré, même quand Priscilla essaie des vêtements 2 scènes plus tard, il doit être entouré de tous ses copains. Scène où Elvis lui fera comprendre qu'il veut qu'elle porte du bleu, pas trop de couleurs, et surtout pas de motifs. Une scène qui aura son importance sur la suite du film.

Mais nous ne sommes pas pour autant dans un film féministe et hypocrite, ni même dans la descente d'Elvis. On a donc le droit à des scènes où elle s'amuse, sort, boit... Tout en gardant un calme, une sobriété, et une certaine retenue avec "Forever" de "The Little Dippers".

Elvis offre une voiture à Priscilla pour célébrer son diplôme, Priscilla lui demande de ne pas se montrer, pour ne pas accaparer toute l'attention. "Je t'attendrai dans la voiture, ça sera un peu comme si j'étais près de toi", lui dit Elvis. Cette magnifique ligne de dialogue métaphorise ici toute la dynamique future de leur couple, Elvis qui sera présent sans vraiment l'être.

Elvis s'en va en tournage, Priscilla se retrouve de nouveau seule. Chez la coiffeuse, elle lit un magazine qui parle de Elvis et "Ann-Margret", sa partenaire à l'écran dans "Viva las vegas". Une scène de jalousie toute simple en apparence, mais ici, c'est le choix de la musique qui la rend brillante : "Goin' places" de "The Orlons", qui pourrait être traduit par "Voyager", est jouée sur cette scène. Dans les lyrics de la chanson on retrouve "money maker, record breaker", ou encore "goin' places" (et d'autres mais impossible de trouver les lyrics sur internet). Donc si ce n'est pas clair, Elvis voyage, Elvis bat tous les records, et Elvis fait plein d'argent, pendant que Priscilla n'a même pas le droit d'entrer dans toutes les pièces de sa maison.

Priscilla va donc voir Elvis à Las Vegas, elle rentre pour la première fois dans la confrontation avec lui. Et son état psychologique, la colère donc, est compréhensible alors même qu'elle est encore souriante, car une nouvelle fois, sa tenue plus que le reste, traduit de son état d'esprit. La robe de Priscilla est très colorée et pleine de motifs, tout ce qu'Elvis déteste et lui interdit de porter. On a donc ici une sorte de paiement attendu de la scène d'essayage des robes.

Elvis demande Priscilla en mariage. Enfin presque, il ne lui demande rien en fait, il la prévient qu'ils vont se marier.

Les fans d'Elvis ont finalement le droit aux chansons de leur idole dans un petit montage court, mais rafraîchissant à ce moment du film, et important pour le rythme.

La tension dans l'air est palpable dans la scène des photos de famille, qui arrive après une grosse ellipse. Généralement, moins on en fait, plus la tension est grande, et ici, tout se passe dans les gestes et mouvements d'Elvis et Priscilla. Sans qu'absolument rien ne soit dit, on comprend que leur relation est grandement abîmée, ce qui nous informe sur leur évolution, mais également sur le temps qui est passé, une éllipse donc brillante.

Dans cette volonté d'errance, les années ne sont jamais données, ce sont donc ces ellipses qui vont nous traduire le temps qui passe. Que ce soient des ellipses à petites échelles avec des jumpcut ou des inserts, comme Coppola a toujours fait. Ou des ellipses à grandes échelles, comme par exemple les différentes tenues qu'Elvis porte, ce qui montre l'évolution de sa carrière, et donc le temps qui passe. Les fans les plus hardcore sauront sûrement situer les années grâce aux tenues.

Priscilla quitte finalement Elvis, on la retrouve en bordure de cadre, ici sur la gauche regardant sur sa gauche. On retrouve donc ce décadrage qui était récurrent au début du film. Mais si ce placement sur la gauche traduit d'un malaise, compréhensible lors d'une rupture amoureuse, Priscilla quitte la chambre d'Elvis sur la droite, car en quittant Elvis, elle va enfin avancer. Puis, elle quitte la maison avec ses affaires sur la droite, et pour finir, elle s'en va en voiture, toujours sur la droite. Ce jeu de cadre nous indique donc qu'elle se libère.

En sortant de la propriété d'Elvis, on lui ouvre grand le portail, symbole d'une nouvelle porte de sa vie qui s'ouvre pour elle.

Mais une libération non sans tristesse et douleur, car "I Will Always Love You".

La comparaison avec le Elvis de Baz Lurhman est inévitable, mais peu pertinente dans la mesure où les styles des 2 cinéastes ne pourraient pas être plus opposés l'un de l'autre. Le cinéma de Coppola se veut minimaliste et réaliste : peinture et mise en scène d'une psychologie, d'une vérité émotionnelle de ses personnages. Contrairement au folklore et au spectaculaire de Baz Lurhman.

Mais "Priscilla" n'est pas une œuvre ultra féministe comme certains aimeraient le décrier. Si les dialogues de Elvis sont souvent pleins de sous-entendu : "Ne change pas", "C'est moi ou une carrière", "J'ai horreur du marron", "Tu peux être cette fille-là ?". Il n'est pas peint comme un pervers narcissique pour autant, car il ne peut presque pas en être un tellement il a des choses à sa décharge. Il tente comme il peut de gérer sa musique, le cinéma, les journalistes, les fans, et Priscilla. Dans le traitement de Elvis, on peut noter qu'il n'est jamais filmé de près, la caméra garde constamment une certaine distance, la même distance qu'à Priscilla avec lui, Coppola nous met donc de façon brillante dans la peau de son personnage. Nous ne sommes pas personnels avec Elvis, mais pas complètement impersonnels non plus, car ici, pas de guitare, pas de micro, pas de caméra, on parle d'Elvis l'homme, pas superficiellement de l'artiste.

Donc ressentir de l'ennui sur le film peut bien sûr être compréhensible, même s'il est parfaitement rythmé, mais le dénoncer comme un point négatif est, absolument ne pas comprendre les intentions de Coppola. La vie de Priscilla est à l'opposé de celle de Elvis, la sobriété et le calme sont donc indispensables pour représenter cette vie et venir en contraste avec ce qu'est Elvis. À l'instar du "Jackie" de Pablo Larrain et de son "Spencer", où on peint des femmes qui vivent dans l'ombre de leur mari, cachées, seules, dans leur prison doré, la mise en scène doit évidemment être à l'image de leur vie, au bord de l'errance. Il y en a vraiment qui pensaient voir Elvis en concert dans un film sur sa femme, ET réalisé par Sofia Coppola ? Le film raconte fidèlement ce que Priscilla raconte dans son livre, c'est-à-dire sa propre vie. Comment peut on dire qu'il ne se passe pas assez de chose quand c'est un biopic ?

"Priscilla" c'est donc la rencontre et l'association parfaite d'une femme, seule, isolée et désoeuvrée, et d'une cinéaste qui a fait de ces thématiques tout son cinéma d'auteur.

Et pour ceux qui trouvent encore qu'il ne se passe rien, allez donc voir le dernier Wim Wenders, "Perfect Days". Mais peut-être a-t-il lui aussi une auréole d'immunité ?

Hugo-R
8

Créée

le 13 janv. 2024

Critique lue 11 fois

Hugo-R

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