Priscilla
6.1
Priscilla

Film de Sofia Coppola (2023)

Bon ... Quasiment tout a été dit sur ce film dans les autres critiques. J'en tire cependant certaines réflexions.

On voit une certaines fracture entre des "cinéphiles" plutot masculins qui accusent le film de ne pas avoir de profondeur et de psychologie, un manque flagrant d'évolution de personnages ; d'un autre, plutot des femmes qui acclament une réserve, un "portrait en creux" dans une esthétique dite féminine, feutrée, léchée. Intéressantes questions du point de vue et de la sensibilité.

Je trouve malgré tout les deux compatibles et je crois que le soucis du film se situe justement à la jonctions de ces deux visions d'un même film.

J'adore l'esthétique de Sofia Coppola. Elle donne sa vraie place aux matières, aux couleurs, aux costumes ; où la musique, toujours présente, participe complètement au film. C'est une vision totale, sans tomber dans l'outrance ou le grotesque, tout en retenue, en délicatesse. On peut lui reprocher son rapport "clipesque" voire édito (la scène du mariage pourrait être un shoot pour Vanity Fair, comme 80% du film d'ailleurs) a ses films, mais ça fait tellement de bien d'avoir cette vision, si rare, féminine du cinéma. En ça elle a un talent indéniable, qui sauve parfois les meubles d'un scenario lacunaire. Pour ne rien cacher je ne suis pas fan de ses film, Lost in Translation sauve la mise malgré une fin décevante. Mais je respecte grandement son travail.

Pour ce qui est de Priscilla, je crois qu'elle s'est réellement planté. Il me semble qu'une histoire aussi complexe psychologiquement, aussi axée sur les personnages, qui demande une évolution intérieure, du temps long (on est sur un biopique, sujet casse gueule s'il en est), n'est simplement pas compatible avec son style. On voit bien qu'elle essaye d'éviter les clichés et les ficelles vues maintes fois pour ce genre, mais quelques scènes vaguement complices au bord de la piscine ou dans un lit ne suffisent pas. Tout est flottant, c'est sa marque de fabrique après tout, et donc tout sonne faux. Comme ces innombrables fondus au noirs de séquences alignées, qui ne se suivent que vaguement, une frise chronologiques d'images jolies mais qui jamais ne vont au fond des choses. On est témoin sans être impliqués.

Et pourtant, effectivement, les creux, les absences, disent beaucoup : Priscilla est seule, n'a pas d'amis, ne vit que pour Lui, qui choisit comme elle s'habille, se coiffe, elle est une poupée, un accessoire dans la panoplie WASP d'Elvis.

Mais cet esthétisme, fétichiste, couplé avec une nostalgie certaine efface derrière un joli gloss la violence de ce qui se passe à l'image. Priscilla vit un rêve de princesse quand elle se fait groomé par un adulte qui sait visiblement parfaitement ce qu'il fait. Sans doute qu'elle y croyait, à l'époque, mais à vrai dire on ne sait pas où le film se situe sur la question. En fait je crois que cette esthétique flottante si séduisante ne fonctionne que parce qu'elle reste en surface, impose une distance aux spectateur. Une distance nostalgique qui éloigne du réel : une enfant de 14 ans qu'on vient chercher pour mettre dans les mains d'une superstar qui s'ennuie, a qui on donne de la drogue sans que jamais ça ne soit dit, Elvis lui ment, la violente, la trompe, l'intimide, la force, l'enferme. Car la réalité est là, et j'ai été très mal à l'aise de cet effacement (il y a des choses qui ne seront pas dites, forcément, Priscilla, la vraie, ayant le dernier mot) voire d'une certaines complaisance. J'ai appris que la scène de l'hotel à Vegas était, en réalité, un viol. Pourquoi cette ellipse? De même, aussi "mature pour son age" (c'est fou les prétextes qu'on invente pour pouvoir sauter des mineures) peut elle avoir été, c'était un enfant, quand Elvis en avait 24, à l'armée (tout à fait un homme quoi). Il est normal de ne pas faire jouer une adolescente pour un role aussi dense, mais Priscilla avait 14 ans, là où l'actrice en a 10 de plus, sensiblement le même que son partenaire de jeu. Bien que la différence de gabarit soit flagrante, je pense qu'on manque réellement un élément visiblement dérangeant de la situation. En France, je pense que tout le monde à entendu parler du Consentement, le livre ou le film. On sait que l'emprise peut rester sourde très longtemps, et que la voir, la conscientiser et défaire ses racines profonde, accepter d'avoir souffert et subit, est un bouleversement. Peut être Priscilla Presley devrait elle lire le livre de Springora?

En interview, Sofia Coppola parle de ne pas vouloir montrer son personnage comme une victime, c'est une question complexe et très louable. Mais qu'est elle alors? Car elle n'est pas non plus un sujet. Le film a beau s'appeler de son prénom, il commence et termine avec Elvis. Et la déchéance de l'icone Elvis, la fin de la fascination qu'elle a pour lui, jusqu'au divorce nous est invisible. La transition du rêve au cauchemar n'est pas explicite, je pense, parce que cela serait incompatible avec la "patte" Coppola, trop dramatique, trop radical peut être. J'irais jusqu'a me demander s'il était même judicieux, avec un dilemme aussi impossible, d'adapter une vie aussi violente.

ALeuchat
4
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le 12 janv. 2024

Critique lue 26 fois

2 j'aime

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