Au nom du père, des filles et des saints esprits.

Critique rédigée en février 2018


First sight
A croire que le hasard fait vraiment bien les choses, mon attention a réellement commencé à porter sur Prisoners sous le temps neigeux recouvrant Paris depuis déjà plusieurs jours, rappelant les harmonieux paysages d'hiver canadiens !
Le québécois Denis Villeneuve a mis un bon bout de temps avant de se faire un nom, mais n'a aujourd'hui à vrai dire plus grand chose à prouver: en six films sortis respectivement entre 2010 et 2017, il s'est rapidement imposé comme l'un des réalisateurs les plus suivis et les plus acclamés de notre décennie. Pourtant, ses trois premiers films sont passés totalement inaperçus, et Denis ne s'est fait remarqué qu'en 2010 avec Incendies, film totalement indépendant et adaptation cinématographique de la pièce de théâtre du même nom écrite par Wajdi Mouawad. Si beaucoup ont fermé les yeux sur ce film à sa sortie, il a été plébiscité par la critique (rapportant par exemple 93% de critiques positives sur Rotten Tomatoes, une note de 4,4 étoiles sur 5 pour les spectateurs d'Allociné et 3,8 pour la presse...).
Puis, trois ans après, en 2013, le "Tabarnac" sort définitivement de l'obscurité de sa tannière au Québec et réalise un premier film américain : Prisoners, considéré dès sa sortie comme le meilleur thriller de l'année, mettant en avant Hugh Jackman (saga X-Men 2003-, Le Prestige 2009, Van Helsing 2003) et Jack Gyllenhaal (Donnie Darko 2001, Source Code 2011, Brokeback Mountain 2005, Night Call 2015), deux acteurs à la notoriété d'acier ^^ et déjà vu
par beaucoup comme le renouvellement du genre thriller, marqué pour les premières fois par Alfred Hitchcock dans les années 50-60, avant que de grands noms comme Jonathan Demme, David Fincher, Bryan Singer, Martin Scorsese, M. Night Shyamalan et Christopher Nolan imposent avec leur temps les nouvelles bases du film à suspense.
Villeneuve réitèrera l'expérience avec Jack Gyllenhaal avec Enemy, réalisé quelques mois après mais sans les mêmes moyens ; si le film n'est pas un échec critique, il est tout de même loin du succès remporté avec son précédent film.
Comment parler de Prisoners...c'est simple, il est de ces films comme ça, avec lesquels j'ai du mal à me jeter directement à l'eau, de peur d'être horriblement déçu, voire dégoûté. Et pour le coup, 2 heures et demie d'enquête, de retournements de situations farfelus, et une histoire qui pourrait s'avérer assez compliquée à suivre, c'était prévu d'avance, ce film allait m'être un bon gros pétard mouillé parmi tant d'autres !
L'histoire du film prend place en Pennsylvanie: Keller (Hugh Jackman) s'apprête à passer la fête de Thanksgiving en famille, dont sa jeune fille Anna. Un jour, cette dernière et son amie Joy disparaissent mystérieusement, sans laisser de trace. Loki, inspecteur déterminé (Jake Gyllenhaal), est persuadé qu'il s'agit d'un enlèvement. Divers hommes sont suspectés du kidnapping des deux enfants, dont Alex, homme au comportement étrange à la limite autistique, qui va devenir la principale cible du père de la victime et qui va se lancer dans une auto-justice sans
merci.
Qui se cache derrière ce complot? Qui est réellement Alex? Et surtout, ou mène ce labyrinthe qu'il dessine tout au long de l'enquête?
Actually
Bon et bien une fois de plus, j'avais tout FAUX ! Du haut de mes seize hivers, je n'ai jamais été réellement surpris par un film à twist, ayant trop souvent tendance à percevoir la fin de l'intrigue avant l'arrivée, et sans le vouloir (par spoil ou autre). Et bien pour une fois, la roue tourne, j'ai été pris comme très rarement dans le trip, et je n'aurais jamais cru à ce point !
Entre Psychose (A. Hitchcock, 1960), Le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1993), Seven (David Fincher, 1995), Usual Suspects (Brian Singer, 1995) et Sixième sens (M. Night Shyamalan, 1999), un thriller puissant, troublant et émouvant, une perle rare, une claque inattendue !
Firstly
Comme déjà dit, le film met à jour le genre du thriller par le biais d'une trame assez classique (du même genre, le thème de l'enlèvement/kidnapping n'a été traité que dans La Rançon de Ron Howard, 1996), car il faut bien l'avouer, à part les quelques pépites réalisées par Christopher Nolan les années précédentes comme Le Prestige (2009) avec ledit Hugh Jackman, réussissant pour la première fois à se détacher de Wolverine (ou Logan pour les intimes), rôle qui pour beaucoup le symbolise ; le genre avait besoin d'une remise au goût du jour, un film ayant le pouvoir d'écraser tous les films d'horreur bas de gamme (The Secret, La Malédiction de Chucky, Le Dernier Exorcisme, Open Grave. 2013, maudit sois-tu!) sortis la même année. Et comme Villeneuve rime avec peau neuve,
At first sight
il nous livre un thriller fascinant, naviguant entre la peur et la réflexion, car il donne aussi beaucoup à réfléchir. Prisoners dit le titre, et c'est bien-sûr les spectateurs qui sont emprisonnés dans le film, tant il regorge de singularité, de jamais-vu et de suspense nous tenant en haleine jusqu'à la dernière seconde, chose qui m'arrive extrêmement rarement devant un film du genre, et encore plus devant un film de Villeneuve, m'ayant un poil déçu avec sa suite quelque peu édulcorée de Blade Runner sortie octobre dernier.
Ce qui fait, tout d'abord, de ce film un thriller singulier, c'est le portrait des personnages: un Hugh Jackman assoiffé de vengeance, un vrai fauve, du Wolverine tout craché! Son personnage fascine parce qu'à tout moment dans le film, le scénariste s'amuse à


fausser les pistes du spectateur en le soupçonnant de sa culpabilité, et surtout en l'interrogeant sur sa place dans le récit: quelle est la place de chacun dans l'intrigue? Et,... et si sans le savoir, le crime pouvait avoir une part de chacun d'eux?


Telles sont les interrogations qui ont, pour ma part, traversées mon esprit lors du visionnage. Concernant Jack Gyllenhaal, son personnage n'est pas moins intéressant mais s'oppose davantage à H. Jackman, il se distingue par une nature moins caractérielle, largement plus "soft" et moins effrayant, pour laisser place à du charisme et de la confiance vis à vis du spectateur,


une valeur sûre, car je n'ai douté à aucun moment qu'il pouvait être le fautif.


Then
Le réalisateur laisse bien peu d'indices aux spectateurs, qui seraient habituellement tentés de deviner le twist final avant l'heure. Ici, le seul indice que j'ai à peu près perçu est le suivant:


dès le début du film, on entend Hugh Jackman citer la prière Notre père, annonçant dès le début indirectement la fin du film, l'exil du personnage dans la prière et la religion pour fuir la fatalité des événements de l'intrigue.


Rejoignant cette idée directrice, le scénariste a eu l'étincelle d'ajouter une théorie très audacieuse, représentant à elle seule une forme de perfection,


celle du Labyrinthe que le personnage de Ralph, autre suspect de l'enquête, ne cesse de dessiner: mon interprétation, c'est que le personnage est accusé de l'enlèvement, et afin de sortir de cette affaire, il va devoir doubler de lucidité, comme s'il était perdu dans un labyrinthe et qu'il devait y sortir. Au final, le personnage finit par se suicider, le suicide représentant un échappatoire, mais aussi un acte un lâcheté.


L'intrigue, soigneusement préparée aux petits oignons à travers ses paysages enneigés et son climat sombre, n'est d'ailleurs pas sans rappeler The Secret (2012) de Pascal Laugier, thriller semi-horrifique terriblement confus m'ayant laissé insensible car traîne beaucoup trop en longueurs. Ici, l'intrigue prend son temps à se mettre en place, aucune partie n'est trop lente ou bien trop rapide, donc un bon rythme. Rien n'est laissé au hasard, chaque élément du film a sa place (alors qu'on peut d'abord penser que certains ne sont là que pour meubler au premier abord) et aucune scène n'est vraiment de trop, chacune offre une clé de l'intrigue se mettant minutieusement en place,


notamment l'affaire du sifflet, élément phare pour la toute fin du film si on regarde bien.


Quant à revenir aux personnages, Villeneuve y offre, en plus d'un portrait précis, une juste vision des choses regorgeant de vérité :


H. Jackman est effondré par l'enlèvement de sa fille et, ce qui pousse à croire sa culpabilité, c'est son comportement vis à vis des suspects, qu'il violente tel un dangereux individu, l'éloignant de tout attachement au spectateur ! Avec son visage gonflé par la soif de vengeance, la peur et la rage, on tient là une représentation fidèle de l'Homme au contraire de son état de nature: il est comme littéralement aveuglé et rien jusqu'au bout de lui enlève le bandage de la colère.


Finally
A la hauteur de l'effroi que provoque l'intrigue, en plus d'émotion, la musique signée par l'islandais Johann Johannsson colle bien au produit. Une BO aux allures électro rappelant l'angoisse ressentie par les personnages, mettant ainsi nous, spectateurs, à leur place,


(voir la scène à la première personne durant laquelle Loki (J. Gyllenhaal) roule jusqu'à l'hôpital, semi-conscient).


Une fois sortis du labyrinthe, la fin n'est pas moins surprenante puisque que


le fautif n'est autre qu'un personnage semblant être secondaire à première vue: la "mère" d'Alex, qui est en fait avec son mari endeuillée par la mort de leur fils, et séquestrant des enfants dans une cave secrète afin de reformer une famille nombreuse.


Une fin inattendue qui fait froid dans le dos, c'est ce que j'ai tant attendu de la part d'un thriller !
Contrairement à certains films lambdas se contentant de mettre en place un méchant sans le développer dans aucun cas, il est ici ajouté une véritable cause de pourquoi le tout, ici,


la perte et la volonté de retrouver, chose profondément humaine.


In conclusion
Pour conclure, Prisoners est pour moi un coup de coeur totalement inattendue, rentrée directement dans le panthéon des meilleurs films des années 2010 que j'ai pu voir, grâce à l'omniprésence d'émotions forte, chose hélas assez rare aujourd'hui, une tension progressive fonctionnant à merveille, le tout pour un nouveau prototype remarquable de suspense! Ainsi, je vais pouvoir à présent m'interroger sur le reste de la carrière du Tabarnac, notamment Enemy (2014), Incendies (2010) et Sicario (2015), et attendre de découvrir le résultat de son remake de Dune (1984) de David Lynch, qui sortira courant début 2019.


Meanwhile
PS: étrange coïncidence que tout l'intrigue soit représentée au biais d'un labyrinthe, étant donné que le troisième et dernier volet de la saga du Labyrinthe de Wes Ball vient de sortir ^^

Créée

le 18 déc. 2020

Critique lue 579 fois

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