Avant première UGC. Jodorovsky se présente devant nous le pas trainant, et baragouine dans son franspagnol caractéristique sur le pouvoir de la psychomagie. La blancheur de sa chevelure resplendit dans la salle tamisée, et contraste avec son costume d'un noir ébène. Il nous raconte ensuite comment il a rencontré sa femme, présente à ses côtés, puis la laisse palabrer sur la puissance de l'amour. Il évoque également comment le financement participatif (160 000 euros rassemblés) lui a permis de se passer de producteurs. Avant de nous quitter, le cinéaste s'est senti obligé de nous affirmer que le film était bel et bien du cinéma. Ce n'était pas pour me rassurer.


Car de cinéma, on peut douter qu'il en est question alors que les séances de psychomagie se succèdent, tant le documentaire est formellement désastreux et tient plus par moment d'un film amateur ou d'un mauvais clip publicitaire. C'est le plus gros reproche que je peux lui faire, qui ne doit pas être étranger au mode de financement. Le montage est erratique, un quidam aurait mieux cadré les plans avec son iPhone, la photographie est inexistante, et les séquences caméra à l’épaule sont carrément à vomir. Ce qui fait des renvois à sa filmographie, hélas trop rares et trop courts, de véritables bulles d'air.


Quelque part, la laideur formelle du documentaire est cohérente avec la crudité des corps représentés à l'écran. Membres intimes, décharnés, poilus, graisseux, sont exposés dans des gros plans et des situations quelque peu inconfortables à visionner. S'en dégage pourtant une certaine forme de beauté et de poésie qui a quelque chose de païenne et de mystique, du même ordre que la scène d'accouplement de Midsommar. Il n'en demeure pas moins que l'esthétique générale peut heurter le sens commun.


Suivre ces étranges formes de thérapie n'est pas désagréable en soi. Jodorovsky, a mi chemin entre l'artiste et le psychologue, nous expose des cas qui s'avèrent être touchants, voire drôles, tel que ce monsieur qui, après avoir explosé à coup de marteau des citrouilles représentant les membres de sa famille, affirme se sentir mieux, le sourire au lèvre, ou cet autre monsieur de 47 ans qui deviendrait homme alors que Jodorovsky lui empoigne les couilles et lui transmet de l'énergie virile, ou bien encore cette vieille dame qui se surprend à vouloir commettre un meurtre pour se sentir exister. Certains autres cas, comme ce musicien et son rapport au père, sont en revanche franchement ennuyeux, voire, avec cette femme atteinte d'une tumeur, un peu inquiétants.


Beaucoup plus intéressant, le parallèle fait entre certaines séances de psychomagie et des extraits de la filmographie de Jodorovsky a le mérite de donner une clef de compréhension de l'ensemble son œuvre, dans la mesure où ses films mettaient déjà en scène des actes de psychomagie. La mère qui repeint son fils en noir dans La Danza de la Realidad, le sang menstruel de la naine dans Poesia sin fin, le sacrifice dans El Topo... C'est toute une symbolique jodorovskienne qui s'ouvre à nous, puisqu'il était alors déjà question de s'adresser à l'inconscient, de thérapie par les actes. De ce point de vue, la psychomagie est la résultante d'un processus créatif qui court sur des décennies, et possède réellement un sens artistique.


Ce qui me frappe, c'est la volonté de vouloir ainsi marquer au fer rouge tout un pan de son art, combiné à son âge désormais avancé et son état de fatigue manifeste. N'est ce pas là une des si ce n'est la dernière de ses réalisations? A ce titre, je ne peux m'empêcher d'émettre des regrets quant à celui qui aurait pu être le Salvador Dali du cinéma contemporain, le visionnaire capable de toucher à tous les genres, à tous les mythes et d'ouvrir les esprits et les horizons métaphysiques. Dune n'est qu'un exemple de ce qui aurait plus être frappé par la grâce du maître de la psyché. On peut notamment blâmer tous ces producteurs qui n'ont pas cru en lui.


Finalement, et ce n'est pas une nouveauté, parmi les nombreux univers créatifs qu'il a investi, c'est sans doute la bande dessinée qui, de l'Incal aux Technopères, aura été la plus propice à la formidable créativité de Jodorovsky. Et ce n'est là que la face immergée d'un iceberg de collaborations avec la géniale maison d'édition Les Humanoïdes associés, héritière de Métal Hurlant, qui ne s'y est pas trompée. La série des Méta-Barons constitue à mon sens le plus éclatant de ses développements sur les thématiques psychanalytiques du rapport au père, à la mère, à la filiation, au sexe, au corps, à la mort, et à tant d'autres qu'aborde la psychanalyse, et la psychomagie.

DoubleRaimbault
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le 28 sept. 2019

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