Une nuit pluvieuse et boueuse sur Piccadilly Circus comme l'Angleterre en réserve parfois (tout le temps? mauvaise langue). Plusieurs londoniens de toutes classes sociales et de tout horizon sont amoncelés à l'abri des arches de pierre d'un imposant bâtiment style victorien. Le professeur de langue émérite Henry Higgins est parmi eux, et gribouille dans son calepin des notes destinées à pousser encore plus loin son art de la géolocalisation verbale. Il est en effet, d'après ses dires, capable de géo-localiser n'importe quel habitant du vieux continent à la seule ouïe de son accent et de son répertoire lexical. Pire, son talent serait tel qu'il serait en mesure même de placer sur un plan de Londres chacun de ses sept millions d'habitants (l'histoire se déroule au début du vingtième siècle). Vantard... Et pourtant. Si bouffi d'orgueil qu'il soit, il dit pourtant la vérité : le professeur est un vrai crack dans son domaine, un véritable cadastre linguistique. Et à part étendre ses capacités à la terre entière, on se demande bien quel défi la langue orale peut encore lui poser. Il y en a bien un en fait qui attise sa curiosité. Et la perspective de réussir, en plus que de gagner le pari que lui a lancé ce soir-là même un confrère badaud fini de le convaincre à se lancer : il fera d'une vulgaire petite marchande de fleur une respectable lady de la haute.

Le film est une adaptation de la pièce éponyme du dramaturge irlandais George Robert Shaw (Prix Nobel en 1925), elle-même inspirée par la légende de Pygmalion et Galatée racontée par Ovide dans ses Métamorphoses qui narrait l'amour d'un sculpteur pour sa création et le don de vie que lui accorda d'Aphrodite. Mais là où Ovide se servait de son œuvre pour critiquer les mœurs libertines des femmes chypriotes, Shaw usait de la sienne pour mettre du plomb dans l'aile de l'apparente respectabilité des classes aisées et bourgeoises de l'Ancien Monde. Asquith et Howard ne trahissent jamais son cynisme ravageur et son humour décapant. Les dialogues sont finement ciselés, les acteurs hors pairs et les situations très souvent rocambolesques. On rit de bon cœur malgré l’âpreté de la critique. Là où Hegel disait "c'est dans les mots que nous pensons", Shaw répond "c'est dans les mots que nous nous cachons". Mais l'écran de fumé est mince dit-il également. Il y a les mots certes mais il y a surtout la manière de les dire. Ce n'est pas qu'une question de prononciation, d'articulation ou de sonorité. Ça ne s'apprend pas. Non, ça à plutôt à voir avec ce qui rejaillit du langage et du visage de la personne au moment où ils sortent de sa bouche . A ce petit jeu, le message de la lutte des classes par le verbe est clair : l'intelligence ne mange pas de caviar.
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le 17 nov. 2014

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