Le cinéma de Hong Kong est connu à travers le monde pour son visage éminemment commercial. Ne bénéficiant d'aucune aide publique, il ne peut vivre qu'à travers son succès populaire et les profits qu'il engrange au box office. Pour atteindre ce but, l'industrie a produit en masse des œuvres relevant de genres populaires par excellence, comédie et films d'action en première ligne. Mais au sein de cet univers tout entier basé sur le divertissement et l'argent, quelques réalisateurs essayent de mettre en scène des œuvres plus profondes. Citons ainsi Ann Hui ou Yim Ho. C'est également le cas du trop méconnu Lawrence Ah Mon. Son premier long métrage, Gangs, fut rien de moins qu'un des films les plus marquants sur la jeunesse Hong Kongaise. Son second ne sera pas une moindre réussite, drame touchant et réaliste qui rencontrera un étonnant succès commercial en plus d'empocher plusieurs récompenses aux HK Awards.

Comme son titre l'indique, Queen Of Temple Street nous emmène au cœur d'une des rues les plus célèbres de l'ex-colonie et plus spécialement dans le petit monde de la prostitution locale. Cet univers est bien connu de l'amateur de cinéma Hong Kongais car déjà utilisé dans une large quantité de films (My Name Ain't Suzie, Moon, Star, Sun...). Mais la plupart du temps, le monde de la prostitution est décrit sous un angle extrêmement commercial. Il s'agit soit de profiter des spécificités de la profession pour montrer des jeunes filles dans des situations sexuellement explicites (nombre de softcore des années 70 et de catégorie III qui leur succèderont) soit de surdramatiser à l'extrême le plus vieux métier du monde au point de lui ôter une bonne part de sa crédibilité (le pourtant convenable Moon, Star, Sun avec son hallucinante séquence de dépucelage de Maggie Cheung).
Queen Of Temple Street évite ces pièges avec une étonnante facilité. Temple street y est décrite dans toute sa « splendeur » avec ses petites triades, ses prostituées et mères maquerelles. Rien de glamour ici mais une reconstitution crédible de cet univers que ce soit dans son visuel (les petites rues glauques, la saleté ambiante, les appartements trop étroits...) ou dans les interactions entre les nombreux personnages qui peuplent ce petit monde. C'est à travers eux que l'on peut assister à une description réaliste du monde de la prostitution de HK. Wah est une mère maquerelle tout ce qu'il y a de plus humaine, à la fois femme d'affaire intelligente et dénuée de scrupules (elle marchande des êtres humains, rappelons le) mais avec aussi une certaine affection pour ses employées. Ces dernières ne sont pas de vulgaires morceaux de chair ou des icônes glamours mais des femmes avec un vécu, des raisons qui les ont poussé là et qui en font des personnages aussi crédibles qu'attachants. On n'en attendait pas moins de la part de l'auteur de Gangs.

Cependant, même si Lawrence Ah Mon nous offre une vision de Temple Street on ne peut plus réaliste, ce n'est pas là le projet premier de son film. Car l'âme de Queen Of Temple Street réside dans l'exploration des rapports Wha/Yan. Une relation mère/fille conflictuelle, faite de reproches réciproques et de difficultés à communiquer. Comme toujours avec le réalisateur, ces deux personnages respirent le réalisme. Leur écriture est soignée, fine et l'interprétation extrêmement juste de Sylvia Chang et Rain Lau achève de crédibiliser les rapports délicats qui unissent les deux femmes.
Mais si le travail de l'ensemble des intervenants (acteurs et scénariste en tête) au film est à louer, c'est bien le réalisateur qui mérite la plus grosse part des applaudissements pour son traitement tout en subtilité de l'histoire. Une orientation tout à fait originale au sein du cinéma HK. Car à Hong Kong, on aime avant tout les sentiments les plus extrêmes, de l'amour fou à la haine absolue, propice à toucher un maximum de spectateurs, celui-ci n'ayant pas la moindre interrogation à se poser devant le spectacle auquel il assiste. Si bien que l'on a parfois qualifié de naïve cette industrie toute entière vouée à la surdramatisation.
Lawrence Ah Mon se démarque lui par son orientation anti-spectaculaire. Il aurait pourtant été facile de jouer cette carte à coups de grandes séquences lacrymales (« Pourquoi tu m'as abandonnéeeeeeee ???) ou de disputes violentes (et vas y que je te crêpe le chignon en arrosant d'insultes!). Nombreux sont les drames HK qui relèvent de ce style et pas forcément des plus mauvais réalisateurs (voir le C'est La Vie, Mon Cheri de l'excellent Derek Yee ou, dans un autre genre... le Bullet In The Head de John Woo !). Lawrence Ah Mon choisit lui la carte du non dit, de la subtilité. Il n'y aura pas de grandes séquences émotionnelles bien soulignées par une musique appuyée mais une évolution subtile des émotions, à coups de petites touches discrètes, de silences ou de simples regards. Ce type de construction implique un récit au rythme lent, sans construction dramatique stéréotypée, et nécessite un effort du spectateur pour analyser les émotions à fleur de peau qui traversent le personnage. Mais le réalisateur maîtrise son média avec talent et il n'est pas difficile de se laisser happer par cette touchante histoire de deux femmes à la recherche de considération et d'amour.

Ce choix du réalisme et de la subtilité rend il supérieur Queen Of Temple Street aux autres drames de la période ? Certainement pas. Dramatisme extrême et crédibilité à tout prix ont chacune des qualités différentes à faire valoir. Par contre, cela fait assurément de l'œuvre de Lawrence Ah Mon, un film à part au sein de la production Hong Kongaise de l'année 1990. Pour son atypisme et surtout pour le talent de son auteur à décrire des relations humaines criantes de vérité, Queen Of Temple Street est un film précieux.
Palplathune
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le 24 févr. 2011

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Palplathune

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