Le titre et l’affiche pourraient laisser croire que ce film décortique le mécanisme d’un jeu télévisé. En réalité, Robert Redford adapte ici un roman (du remarquablement bien nommé Richard Goodwin), évoquant des combines réelles liées à un jeu de 1958. Ce jeu, le spectateur n’en comprend le fonctionnement que progressivement. Deux candidats s’affrontent pour répondre à des questions de culture générale. Ils ne se voient pas et ne savent pas où en est l’autre. But du jeu, totaliser exactement 21 points.


Herb Stemple (John Turturro) enchaine les victoires depuis plusieurs semaines. Ses gains deviennent importants. Quelques plans sur différents personnages font rapidement sentir que Stemple agace. Le jeu est sponsorisé par la marque Geritol (produits de bien-être). Il passe sur la chaine NBC et il est produit par deux hommes qui sont liés au PDG de Geritol (Martin Scorsese). L’audience est bonne et Stemple reconnaissant, profite de ses passages à l’antenne pour vanter Geritol. Voilà le souci, Stemple prend de l’assurance alors qu’en réalité il est assez maladroit. N’étant pas d’un physique particulièrement avantageux (cheveux courts frisottés, grosses lunettes, trou bien visible dans sa dentition), on sent qu’il n’a pas l’habitude des feux de la rampe et qu’il en rajoute. D’ailleurs, chez lui, on le voit dresser son jeune fils à répondre comme un automate à des questions du type de celles du jeu, alors qu’il est un peu débraillé, le marcel visible sous sa chemise.


Pour relancer l’intérêt, il serait temps que quelqu’un succède à Stemple. On comprend alors comment la production orchestre la valse des candidats. Le candidat idéal, c’est Charles Van Doren (Ralph Fiennes), jeune blond séduisant, classe naturelle largement supérieure à celle de Stemple. Van Doren est issu d’une famille réputée, des intellectuels depuis plusieurs générations. Lui-même n’est encore qu’assistant professeur de faculté (à 28 dollars par semaine…) et il prend comme test de moralité une question destinée à voir s’il est prêt à entrer dans la combine ! Van Doren ne voit que le moyen de gagner de l’argent en valorisant ses connaissances. Ce n’est que plus tard que son père lui rappellera la différence entre ses gains et un salaire. Lui, compte bien gagner en respectant les règles de l’art. Mais, quelles sont les règles ?


Le face-à-face Van Doren/Stempel est cruel et révélateur. Comme cela s’est pratiqué dans le milieu de la boxe (référence explicite dans le film), l’issue est déterminée à l’avance. Le vrai suspense (pour le spectateur du film) est de voir si chacun va appliquer les consignes.


La différence fondamentale entre Van Doren et Stemple vient du fait que les bonnes réponses données par Van Doren sont considérées comme le fruit d’une culture, alors que celles données par Stemple sont considérées comme celles d’un singe savant. Pourtant, Stemple est un passionné lui aussi et c’est une humiliation personnelle de répondre que l’Oscar du meilleur film en 1955 est allé à Sur les quais alors qu’il sait parfaitement que la statuette est revenue à Marty (le surnom de Scorsese), un film qu’il adore. Scorsese, en rouage important d’un système de type mafieux…


Puisqu’il n’y a pas mort d’homme, contentons-nous de parler de système combinard, bien qu’il se nourrisse d’un engrenage d’intimidations. Tous les acteurs de ce système sont gagnants. Il est donc quasiment impossible de convaincre quelqu’un de dire la vérité pour l’ébranler. Floué, Stemple crie à l’injustice, mais tout le monde s’en fiche. Il devra attendre que la justice vienne à lui.


La justice est représentée par Richard (Dick) Goodwin (Rob Morrow), jeune enquêteur mandaté par une commission gouvernementale. Très cinématographique, la façon dont cet enquêteur met le doigt sur ce qui cloche en visionnant scrupuleusement les émissions enregistrées. Cela montre que tous les candidats n’ont pas réagi de la même façon à la pression de la production.


Un film très intéressant sur le fond. S’il n’est pas entré dans les annales, c’est probablement parce que, pour être parfaitement crédible quand on veut discréditer une institution, il faut être irréprochable. Or, par exemple, Dick est reçu dans la famille Van Doren, ce qui va à l’encontre de la déontologie judiciaire. Dick et Charles finissent même par devenir amis, événement déterminant dans la progression de l’enquête. Les relations entre les différents décideurs au niveau de la chaîne de télé sont peu montrées. De même, le rôle du présentateur est laissé dans le flou, alors qu’il est clairement dans la combine. Une combine totalement absurde, car si la popularité du candidat diminue, la pression augmente avec les gains et il ne peut que chuter naturellement.


Le personnage de Stemple est également assez caricatural, même si Redford a le bon goût de ne pas en faire une victime du fait qu’il est juif. Peut-être aurait-il été préférable d’en faire un vrai anonyme issu d’une classe défavorisée pour renforcer le propos. Finalement, le film insiste pas mal sur lui dans sa première partie, alors que Van Doren est le personnage le plus intéressant. On peut également s’étonner de voir un jeune diplômé en charge d’une telle enquête.


Reste le rôle des spectateurs du jeu. Si les candidats sont des marionnettes plus ou moins consentantes, les spectateurs sont des gogos. Or, sans trop s’avancer, on peut dire que des gogos, il en existera toujours. Alors, du moment que de gros intérêts sont en jeu (gains, audience, publicité) cela donnera des idées à ceux qui dirigent la manœuvre. On dit que les tricheurs ont toujours une longueur d’avance…


Là où Redford gagne la partie (sans tricher), c’est en montrant le parcours mental de Van Doren. Avec ses connaissances et la carrière d’universitaire qui lui tend les bras, gagner comme il l’a fait est mauvais pour son ego. D’ailleurs, aux yeux de son père, tout cela n’a aucune valeur. Peut-on se refaire une virginité, alors que chaque acte a ses conséquences ?


En ce qui concerne la réalisation, Redford mise sur une belle image plutôt que sur une mise en scène tapageuse. Il préfère soigner la reconstitution d’époque, peut-être inspiré par certains souvenirs personnels. Les images qu’on voit pendant le générique de fin sont d’une force incroyable. On vient de réaliser que tout ce petit monde va rapidement se réorganiser et que si la combine est éventée, il ne reste plus qu’à en monter une autre. Ce dont raffole le public, c’est de voir des candidats s’affronter pour de l’argent. On adore également brûler les idoles qu’on encensait un instant auparavant. L’essentiel à comprendre est que le public doit continuer de se distraire, de s’amuser. Alors, pas d’états d’âme « The show must go on » !


Parmi les figurants : Ethan Hawke, Barry Levinson et Calista Flockhart.

Electron
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le 9 juin 2017

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