En plus d'une virée hollywoodienne où ils ont tour à tour ressuscité avec un certain succès les "Bad Boys", donné sa (chouette) identité visuelle colorée à la série "Miss Marvel" ou encore vécu l'impensable avec l'annulation pure et simple de "Batgirl" en début de post-production, Adil El Arbi et Bilall Fallah ont trouvé le temps de revenir dans leur Belgique natale pour concrétiser "Rebel", un projet qui leur tenait à cœur depuis plusieurs années.

Et, autant le dire de suite, bien loin de l'univers des (super-)héros de films d'action sortant toujours quasiment indemnes du moindre danger, ce nouveau long-métrage marque pour le duo un retour-choc à la réalité la plus terrifiante avec l'embrigadement de certains jeunes de banlieues belges d'origine maghrébine dans le conflit syrien et la radicalisation dont Daech se nourrit pour agrandir ses troupes.

Inspiré du propre vécu des réalisateurs (des connaissances disparues du jour au lendemain pour rejoindre cette guerre), "Rebel" malmène nos émotions à travers la descente aux enfers que va prendre la destinée de deux frères : Kamal, un petit délinquant passionné de rap parti apporter son aide sur le front syrien afin de trouver un but à son existence avant de succomber aux sirènes de l'État Islamique, et Nassim, son cadet âgé de treize ans subissant de plein fouet en Belgique les répercussions autour de la révélation médiatique des terribles agissements de son aîné.

En entremêlant les parcours respectifs de ces deux frères dans la noirceur d'un cycle de cause à effet où les échappatoires ne font que se raréfier, Adil & Bilall s'emparent du triste et large spectre du cancer de la radicalisation pour en explorer ses extrémités les plus dramatiques, de ses symptômes bien installés dans nos sociétés occidentales directement pointées du doigt quant à leur inertie sur le sujet (des jeunes laissés sans horizon d'avenir, à la dérive d'une délinquance aux multiples visages, dont une qui ne demande qu'à susurrer ses illusions néfastes à l'oreille des plus innocents) à la confrontation directe de ses maux les plus explicites (la réalité d'une organisation sanguinaire vue de l'intérieur, qui, sous couvert d'ordre et religion interprétée selon ses fantasmes, ne vit que pour laisser libre cours à sa violence et à ses plus bas instincts envers les femmes). Ainsi, ici, ce sera l'errance qui poussera Kamal à aller se trouver soi-même sur le front syrien où l'horreur de la guerre le conduira au pire tout comme la tristesse de Nassim le poussera involontairement dans un nid de vipères prêtes à le bercer de mirages sur l'enrôlement de son grand frère.

Bien sûr, si vous avez vu des documentaires ou des fictions bien renseignées sur ce point, vous vous dites peut-être que vous connaissez forcément déjà un peu tout de ce genre de spirale d'endoctrinement (et ses conséquences) dans laquelle se retrouvent pris au piège les personnages de "Rebel", n'oublions pas d'ailleurs de citer les figures féminines très marquantes des deux points de vue du récit et considérées comme seules véritables lumières susceptibles de ramener chacun des deux frères sur la bonne voie (la formidable mère combative notamment). Mais on peut vous promettre que vous faites fausse route car "Rebel" ne ressemble tout simplement à aucune autre œuvre sur ce sujet par l'originalité du traitement que Adil & Bilall lui apportent.

En effet, le film ose le pari d'un grand écart assez sidérant entre un parti pris quasi-documentaire plaçant en son cœur la propagande de Daech, dont la force évocatrice des images belliqueuses est un moyen d'expression parfait pour des passionnés de mise en scène comme Adil & Bilall en vue d'en dénoncer les mécanismes, et celle d'une narration chapitrée par une voix féminine envoûtante à la manière d'une Shéhérazade des "Contes des Mille et Une Nuits", qui donne justement de vraies belles allures de conte moderne, décalé et tragique, à "Rebel".

À la froideur des manipulations perfides de recruteurs implantés en Europe, de tournages calculés de l'organisation pour séduire de potentielles recrues à des milliers de kilomètres et les explosions de violence de leurs exactions sur le terrain (en termes de réalisation dite "de guerre", les plans-séquences en plein combat nous immergent complètement au plus près du désarroi intime d'un personnage face au chaos) vont donc venir se mélanger d'étonnants et sublimes numéros chantés et chorégraphiés, traduisant tout haut des états d'âme que Daech cherche à faire taire en même temps que la musique "impie" qui leur sert d'écrin (intégrante depuis la nuit des temps à leur culture, soit-dit en passant). Entre la folie de la transition musicale téléportant Kamal de sa vie de quartier au milieu de blessés syriens et la détresse ultime chantée d'une femme laissée aux mains des soldats de l'EI, "Rebel" propose plusieurs moments incroyables qu'il parvient pourtant accoler avec aisance à une des plus cruelles réalités qui durent encore en ce monde.

Et cette conjugaison improbable trouvera le moyen d'atteindre un paroxysme encore plus ahurissant lors de son final à la puissance tout bonnement dévastatrice, d'abord par le poids terrassant de ce qui nous y est dévoilé mais aussi par la charge émotionnelle qui en jaillit grâce au choix aussi génial que poétique pour le porter à l'image dans une ultime séquence absolument magnifique.

À elle seule, toute la puissance de l'uppercut "Rebel" y est résumée.

On ne saurait trop vous recommander ce film essentiel par son sujet, par sa capacité à trouver de nouvelles manières pour y faire crier le désespoir d'une humanité qui s'y retrouve le plus souvent étouffée.

RedArrow
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le 6 sept. 2022

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RedArrow

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