Le film de gangsters américain a marqué les années 1930 et contribué aux excès du 'pré-Code'. Les deux principaux ancêtres états-uniens sont Cœur d'apache (1912) tourné par Griffith et Regeneration (1915), premier film de Raoul Walsh (Le voleur de Bagdad, L'enfer est à lui). Ce dernier était l'assistant de Griffith et devient alors à son tour une des premières 'grandes' figures : il s'illustrera dans le cinéma d'action, le 'film noir' et sera extrêmement prolifique.


Son coup-d'essai serait inspiré de la biographie d'un gangster repenti. Il est tourné dans les quartiers de Bowery à Manhattan et se veut réaliste. Les figurants sont empruntés au 'milieu', issus des bas-fonds ou de zones populaires sinistrées. Walsh donne à voir un univers fataliste, mais la représentation est trop propre – à part pour l'origine miteuse, avec la famille de substitution. Il sait afficher des 'gueules' et des physiques forts ou atypiques, mais pas forcément en tirer quelque chose pour le développement. D'ailleurs les premières expositions de Rockliffe Fellowes sont la répétition de vues où il est au café, dans la même position, jusqu'à la même tenue de trogne.


Le film est notable pour les ressources qu'il s'octroie et ses inclinaisons assez 'corrosives'. Son contenu est pourtant superficiel, la narration s'opère par vagues, est laborieuse et raide, le scénario falot. La forme est plus éloquente, car Walsh a intégré le montage parallèle et accomplit quelques mouvements de caméra audacieux. Des scènes d'agitations et/ou de foule renchérissent souvent, avec agressivité ; le point culminant est la séquence de fuite du bateau, avec des plans larges pour constater la panique et d'autres plus serrés pour constater le feu au-dessus du fleuve Hudson. Le film ne gomme pas sciemment les frontières morales, mais les néglige en invitant plutôt à compatir, comme le fait la jeune nantie Marie dont le soutien apaise un peu le démon d'Owen.


L'attitude plus sophistiquée de Marie contraste avec celle des voyous chez lesquels elle s'intègre, un peu comme si le conventionnalisme théâtral subsistait dans cet océan de réalisme revendiqué. Sur le mélo Regeneration fait le job minimal avec efficacité, sans plus ; là encore c'est l'énergie de la mise en scène et l'audace de l'approche qui élèvent. Cependant à l'époque tout ça est déjà assez inédit pour le grand écran : le mélange genres, l'omniprésence des violences relationnelles et criminelles, puis globalement s'autoriser une telle crudité et la placer dans la réalité actuelle. Regeneration est aussi un cousin d'A corner in Wheat puisqu'il désigne la misère ouvrière et l'exclusion, cette fois à proximité de la richesse puisque le cadre est celui d'une grande capitale urbaine. Le mélange des classes finit mal ; les plus dévoués et à rebours des évidences sociales paient le prix fort. Les autres poursuivent leur route 'pré-destinée' sur laquelle ils n'ont rien à perdre.


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le 22 oct. 2016

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