En cette période de Saint-Valentin (ou Saint-Désespoir c’est selon), revenons aux prémices de la Romcom hollywoodienne. Et quoi de mieux pour étayer notre propos que de vous présenter The Shop Around The Corner (traduit horriblement par Rendez-vous en français), film méconnu D’Ernst Lubitsch sortie en 1940 qui pourtant mérite qu’on y pose son regard autant que It’s a Wonderful Life de Frank Capra qui naquit peu après lui.


Adaptée d’une pièce de théâtre du hongrois Miklos Laszlo intitulé La Parfumerie, l’histoire nous conte les péripéties de Matuschek et Cie, de M. Matuschek et de ses employés. Klara Novak (sublime Margaret Sullivan) et Alfred Kralik (James Stewart que l’on ne présente plus) y travaillent et se supportent comme ils le peuvent. Ils rêvent d’un idéal d’amour que leurs correspondances épistolaires anonymes tendent à leur apporter.


Déjà au scénario pour La veuve joyeuse, c’est Samuel Raphaelson qui se charge avec Lubitsch du travail d’adaptation. De leurs propres mots, le génie comique et l’expression des sentiments proviennent davantage de la pièce plus que de leurs modifications. Il est vrai que le principe de double énonciation propre aux œuvres Vaudevillienne, qui consiste à rire de quiproquos créés par un secret que seuls les spectateurs connaissent et dont les personnages sont victimes fonctionne particulièrement bien ici.
Et pourtant il est indéniable que la « Lubitsch touch » est présente.


Alors certes, le statut de l’œuvre est particulier puisque Lubitsch y délaisse la haute société pour se tourner vers les « petites gens ». The Shop Around The Corner est une étude d’un microcosme, celui d’une classe moyenne aux désirs simples, mais universels.


Et nous tenons là le premier point de la naissance de la Romcom. Pour faire rêver le spectateur, il faut qu’il puisse y croire. Le cinéaste s’exprima d’ailleurs en ces termes en octobre 1939 : « Nous ne pouvons plus désormais tourner des films dans un espace vide. Nous devons montrer des gens qui vivent dans un monde réel. Autrefois les spectateurs n'avaient pas besoin de se demander quelle vie menaient les personnages d'un film, pour peu que les films soient assez distrayants. Maintenant, ils y réfléchissent. Ils voudraient voir des histoires qui aient quelque chose à voir avec leur propre vie ». Et pour mettre en application ses dires, Lubitsch met en exergue les défauts de ces personnages pour les rendre plus humains, et n’oublie pas de développer l’ensemble de ses personnages secondaires. De telle sorte que le récit ne souffre d’aucun temps mort.


Jusqu’ici me direz-vous, rien ne justifie ce travail d’adaptation. Et c’est là qu’Ernst Lubitsch déploie tout son génie et assoit le cinéma en tant qu’ouverture des possibles. Il se joue des espaces à l’intérieur d’un quasi-huis clos : de l’extérieur à la boutique, de la boutique à la réserve, de la réserve au bureau, du bureau à la boutique, etc. Une valse qui fait danser chaque personnage pour les entrainer lui et le spectateur dans une dynamique dont le maître à le secret. Conscient des limites du cadre qu’impose le processus cinématographique, il se joue des verticalités comme ressort comique et des limites du cadre, il crée quatre portes distinctes propices à étendre les voies d’entrée de ses personnages et du comique de situation.


Un ballet burlesque qui ne s’arrête que pour l’Étude des sentiments. Nous sommes ici dans un enjeu de plaisir pur propre à la Romcom. Et pourtant bien que la tentation mélodramatique guette au coin de la rue, jamais elle n’ose franchir les portes de Matuschek et Cie ; et tout au long des minutes qui traversent l’œuvre, la finesse est de mise et triomphe des facilités.


Ernst Lubitsch est un cinéaste à la touche particulière qui jongle habilement entre ses personnages, leur apporte une consistance à travers des dialogues ciselés et une mise en scène brillante qui n’occulte jamais son sens du propos. L’humour y est le remède ultime, fût-il cynique ou noir, l’amour l’horizon des espérances, fût-il naïf ou illusoire. C’est l’art du maître : une répartie dont il n’a pas d’égal, qui s’enchaîne sans répit et qui fait de chaque visionnage un plaisir renouvelé.


Dire que l’un des piliers de la romcom est né à la fin des années 30 est un truisme, autant qu’est le conseil d’aller jeter un œil à la filmographie du monsieur. Au demeurant il ne reste plus qu’à vous suggérer de vous procurer The Shop Around The Corner pour observer la classe intemporelle de James Stewart, la fragilité empreinte de caractère de Margaret Sullavan et vous mettre à rêver de romance. Pour qu’au bout du chemin, vous puissiez assister au commencement d’un genre plus raffiné qu’il n’y paraît.

Westmat
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le 14 févr. 2018

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