L'amour et la mort, entre rire et larmes

Je pense n’avoir jamais chialer autant en regardant un film. Court d’une heure et demie, j’ai du pleuré pendant au moins la deuxième moitie du film.


Gus Van Sant comme d’habitude laisse place à ses personnages, les cadres de manière classique, les acteurs sont très naturels. Le film, très réaliste dans son traitement des thèmes qu’il aborde et dans les émotions des personnages, raconte une histoire extrêmement simple mais grave. La première partie du film, nous fait demander : "Peut-on se moquer de la mort ?" et visiblement Gus Van Sant s’éclater à filmer plusieurs scènes très drôles dans ce sens la où il montre un Enoch (Henry Hopper convaincant) se rendant aux enterrements.


Enoch, personnage complexe, à la fois bad boy et léger est un personnage qui souffre mais on ne le sait que par fragments, par petits indices. Il est ouvertement fasciné la mort : c’est sur, dans une scène hilarante, après qu’Annabel ai fait une dialyse, il demande à l’infirmier si il peut emmener deux poches de sang avec lui "pour la route", il est un personnage singulier, à part, qui vit dans son monde, regarde les choses, les gens à sa façon, sa confrontation avec le monde extérieur est souvent douloureuse (il ne s’entend pas avec sa tante ; se fait jeter par un organisateur de pompes funèbres...). Ce personnage, dans lequel je me suis profondément et énormément reconnu, rencontre une jeune femme comme lui : Annabel alors qu’ils assistent à des trucs (je sais plus le nom) funèbres, un regard, Enoch l’envoie chier puis il la recroise à un autre enterrement où elle semble le suivre, elle aussi dans ses délires, Enoch la repousse jusqu’à ce qu’elle lui sauve la peau quand il se fait engueuler par un type des pompes funèbres. Ces deux là sont très différents et conçoivent la Mort de manière radicalement différentes mais ils ont des points communs, ils se comprennent, car ils s’apprennent à se comprendre.


Dans ce film, hors temps, il n’y a pas de téléphone portable, ni d’ordinateur, tout semble être dans une autre époque, intemporel, Gus Van Sant ne laisse filtrer aucun indice sur l’époque où le film se passe (sauf par les machines de radiothérapie). La première partie du film prends partie de se moquer de la mort mais finalement oblique pour parler de la Mort de façon très sérieuse et la traite de façon réaliste. Le film parle de deuil. La Mort est omniprésente dans quasiment chaque scène du film mais au lieu de prendre la Mort comme sujet grave, Gus Van Sant semble célébrer la vie, ainsi nos deux héros vivent heureux, se comportent comme des enfants.


Le réalisateur, pro du suspense, prend du temps à nous faire comprendre les réactions des personnages, face à des gestes ou a des paroles : des non-dits qui en disent néanmoins beaucoup, il livre les réponses par petits bouts mais même à la fin : rien ne semble totalement expliqué. Enoch est fasciné par la Mort mais pourquoi ?


Il a survécu à un accident de voiture qui a tué ses deux parents et a été mort pendant trois jours en restant plusieurs semaines dans le coma.


Mais il n’est pas expliqué de manière formelle si ce qui lui est arrivé l’a fait fasciné pour la Mort, ainsi quand Annabel ne sait encore rien de lui, il lui dit qu’il va lui présenter ses parents (on ignore à ce moment ce qui leur est arrivé) et la conduit devant une tombe et il leur parle comme si ils étaient encore en vie. Annabel dans son délire, leur parle aussi. Ce n’est qu’a la fin de la scène que Gus Van Sant filme la tombe en plan fixe affichant le nom des parents et la date de leur mort, d’Enoch. Se permettre de rire de la mort : c’était risqué et le film est en cela très drôle . il assume son humour macabre, assez noir mais aussi très léger. On est mort de rire dans plusieurs scènes et le cinéaste n’y va pas de main morte quand il oblique vers le dramatique de façon brutale, ainsi Enoch, comprenant qu’il est amoureux d’Annabel


et que rien que pourra sauver et qu’il vient de rompre avec elle.


Quand à Annabel, on comprends seulement au bout d’un certain temps, qu’elle a un cancer, ce n’est pas dit de manière formelle, Gus Van Sant (qui n’as pas écrit le scenario mais c’est comme si tant l’écriture lui ressemble), le montre avec tact, à coups de répliques mordantes, incisives.


Les héros, comme chez Jarmusch, discutent de plein de choses : de Darwin, d’oiseaux…
Le film est à la fois déchirant et rempli de joie. En mettant les acteurs en porte à faux avec nous : ils se gardent relativement d’états d’âmes, le scénariste nous les rend attachants.


On se met à la place d’Annabel si on est une fille et à la place d’Enoch si on est un garçon.
Enoch et Annabel sont un couple "à part", ils sont tous deux dans des délires que seuls eux comprennent et personne d’autre. Van Sant, qui est un pro pour parler de la communication et encore plus de la non-communication, les éloigne du monde.


Dans un moment très beau et très réaliste du film, Enoch arrive chez Annabel pour se rendre à un enterrement, c’est la sœur aînée d’Annabel (Schyuler Fisk impeccable) qui ouvre et elle se met a discuter avec Enoch qui se sent très vite jugé : il ne va plus au lycée ; est un fan des enterrements ; à un ami imaginaire, sa situation n’est pas très positive et lui dit . "Je suis pas un cas social, vous me prenez pour un cas social.", ensuite Annabel arrive sublime et tous deux se rendent à un enterrement sous l’incompréhension de la sœur d’Annabel.


"Restless" est un film de personnages, fait de longs silences, de dialogues interminables, d’émotions pures (la scène présente dans la bande-annonce où Enoch ordonne au médecin d’Annabel de la sauver et le docteur lui dit qu’il as fait son maximum, Enoch le traite d’incapable et s’énerve, le docteur appelle la sécurité et Enoch ne veut pas qu’elle meurt ou encore la scène peu avant la fin où


Enoch après avoir tenter de suicider, rends visite Annabel et puis part dans la salle de bains et se met a pleurer).


Les dialogues sont justes, parfois niant-niant, les personnages sont très vrais et Van Sant, comme à son habitude, laisse le spectateur avec son lot d’interrogations : il laisse les scènes se succéder en y donnant juste son regard lui aussi de spectateur, ne juge pas ses personnages, le film ressemble à "Elephant" dans ce sens : il ne les juge pas, c’est pas son job.
Lui, c’est de raconter une histoire et c’est tout. On retrouve la spontanéité des interprètes comme dans "Will Hunting" et le naturel des interprètes comme dans "Elephant", particulièrement dans une scène où Enoch et Annabel discutent dans un café.


Je note, par ailleurs, la justesse des dialogues lorsqu'Enoch qualifie Annabel de "cancéreuse" et elle corrige : "Ils sont atteints d’un cancer et non cancéreux". elle le corrige plusieurs fois, lui réponds : "C’est la même chose." et elle réponds : "Non, c’est pas la même chose.".


Le film, pour jouer avec la Mort va très loin, ainsi Enoch débarque chez Annabel, il s’inquiète de ne pas la voir, il entre et il la découvre étendue part terre et je me suis mis à pleurer pendant qu’elle est morte et lui tente de la sauver en lui disant de ne pas mourir et Annabel se "réveille" et on voit un papier poster sur un magnétophone à cassette (genre ce qu’on faisait dans les années 90) ou il est écrit : "Death scènes", les deux jeunes préparaient ensemble la scène d’adieu lorsque d’Annabel mourrait mais cette scène s’étire


parce qu’Enoch et Annabel se disputent sur un truc sur cette scène et on découvre les failles (Henry Hopper dans cette scène, immense) d’Enoch et il casse avec Annabel, il dit qu’ils ne comprenaient pourquoi ils faisaient "tout ça", à quoi ça rime : on se pose la même question


mais contrairement à la plupart des films romantiques : ici, aucun pathos, aucune colère, rien du tout, juste "c’est pas grave", tandis qu’Annabel semble


avoir fait le deuil (sans jeu de mots) de cette relation, Enoch n’arrive pas à l’oublier et décide de faire son maximum pour la sauver.


C’est le premier film où Gus Van Sant raconte une histoire d’amour hétérosexuelle (bien sur il y avait le baiser sur la joue dans "Elephant" et le couple dans le même film ou encore Alex et Jennyfer dans "Paranoid Park" mais jamais il n’en avait fait le sujet central d’un film) et il se débrouille plutôt bien : il ne change pas ses habitudes : une scène de sexe : filmée de manière aussi intime que la scène de cul homo de son premier long-métrage, il filme les baisers de manière très proche. Par ailleurs, si le réalisateur traite de la Mort dans une grande partie de ses films (huitième film consécutif ou il y a un mort dans le casting principal) et où il montre les morts, la il ne nous montre pas la mort d’Annabel, le moment connaissant le cinéaste qu’on attendait quasiment, bah en fait, il nous épargne de voir une jeune femme mourir d’un cancer vivre ses derniers instants.


La dernière scène ou Annabel apparaît, c’est avec Enoch heureuse.


Pour ce qui est des personnages, si Enoch me ressemble sur beaucoup de points (une sorte d’alter-ego cinématographique, il est certain que je m’entendrais bien avec lui), Annabel est une jeune femme rayonnante qui ne sait pas trop au final gérer ses derniers instants, nous apprenons qu’au bout d’un certain temps tout comme elle qu’il ne reste plus que trois mois à vivre et simple aussi, ainsi peu après avoir appris qu’elle allait mourir, elle est dans la voiture avec sa sœur et monologue sur les oiseaux et sa sœur lui ordonne de se taire. Annabel vit avec sa sœur aînée et sa mère, son père n’est cité qu’une fois mais on apprends rien de lui et sa mère n’est visible que dans une seule scène : celle où Annabel annonce qu’elle a rencontrée quelqu’un, ce qui étonne sa mère (écrivaine) et sa sœur aînée Elizabeth, qui va être un personnage qui s’occupe de sa sœur, c’est une sœur, simple qui semble s’occuper de la maison et ayant abandonner ses études pour s’occuper de sa sœur malade ; Hiroshi est le meilleur ami (imaginaire) d’Enoch : avec lui ils font les quatre cents coups, c’est un soldat kamikaze de la seconde guerre mondiale qui s’est fait un hara-kiri, comme on est chez Van Sant, il était évident qu’il y est un sous-texte homosexuel quelque part, ainsi Hiroshi semble contrarier et jaloux qu’Enoch se soit trouvée une petite amie (il est insinué que c’est la première amie d’Enoch) et il y a aussi la tante d’Enoch qui tente d’être présente pour son neveu, ayant tout abandonner pour s’occuper de lui, il lui cache quelque chose (on ignore ce qu’elle sait et si elle sait qu’il sort Annabel) mais la dernière scène ou elle apparaît c’est au réveillon de Noël peu après une nouvelle incartade d’Enoch et va vers elle.


Et le film laisse passer les semaines et les mois (le peu qu’il y en as) fête Halloween (c’était un peu prévisible) et Noël (de manière moins explicite). "Restless" est un film à la fois joyeux, enfantin, pétillant mais aussi très noir, son ultime scène, véritable pied de nez a l’œuvre, montre


Enoch qui doit dire quelques mots pour rendre hommage a Annabel et en fait, il se souvient des moments vécus avec elle et a la fin sourit et puis générique de fin.


Si j’ai chialé pendant au moins quarante-cinq minutes, c’est parce que les scènes, toujours merveilleusement et simplement faites m’ont touché et m’ont apporté, je me suis beaucoup reconnu dans Enoch et je me suis mis à sa place, quasiment à chaque scène du film et je me suis dit par moments : "Je réagirais autrement la.", le film manque, presque cruellement, de colère, de rage, d’intensité, c’est le reproche que l’on peut faire au film : d’être trop calme mais peut-être doit-il être mieux comme ça.


"Restless" est un film extrêmement touchant, bouleversant, qui parle d’Amour avec un grand A et de Mort avec un grand M, il ne prends ni l’un, ni l’autre à la légère, c’est un film "à part", se situant comme dans un autre monde tout en étant très contemporain et réaliste. C’est la mise en scène de Gus Van Sant qui est responsable du résultat qui est presque brillant, sinon, lumineux.
Rarement, j’ai pensé à la Mort aussi Intensément que cela, à travers un film.
"Restless" montre un regard extraordinairement juste sur la Mort et personnellement fait parti des œuvres qui me donnent le sentiment de grandir intérieurement.

Créée

le 7 août 2021

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Derrick528

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