Juan prépare son sac à dos, dissimule à l’intérieur de son pantalon tout l’argent qu’il a pu rassembler et quitte l’abri de tôles dans lequel il vivait. Sans se retourner ni saluer quiconque. Il passe récupérer son copain Samuel en train de récupérer de quoi manger ou échanger à la décharge, tandis que Sara se coupe les cheveux et enserre sa poitrine pour ressembler à un garçon et passer inaperçue. Le trio d’adolescents, presque encore des enfants, bientôt rejoint par Chauk, un Indien du Chiapas qui ne parle pas espagnol, s’apprête à traverser le Guatemala et le Mexique pour rejoindre les États-Unis et Los Angeles.

À l’intersection du documentaire et de la fiction, le premier long-métrage du mexicain Diego Quemada-Diez est un véritable choc, un coup de massue. Parce qu’il présente l’émigration sous un jour inhabituel, mais terriblement réaliste et implacable. Le parcours en trains de marchandises, longs et lents, sur les toits desquels il faut parvenir à monter, est semé d’embûches et d’imprévus, obligeant les migrants à s’adapter, à prendre patience et à ruser. Le long de la voie ferrée envahie par la végétation cohabite le meilleur (parfois) et le pire (le plus souvent). Quoiqu’il advienne, il n’est jamais question de renoncer, de revenir en arrière et de s’apitoyer. L’énergie du désespoir et de l’ultime chance pour fuir la misère et l’absence d’avenir et atteindre l’eldorado américain.

Traversant des paysages grandioses, vallonnés et sylvestres, sous un soleil de plomb, les trains seraient presque ceux des vacances, de l’évasion facile et ludique. Loin d’un sentiment d’urgence et de danger démarre le périple qui, bien sûr, ne conservera pas très longtemps son improbable enchantement. Le déplacement des populations, qu’elles traversent l’Afrique, l’Europe ou l’Amérique du Sud, suscite commerces, trafics et marchandages de la même espèce motivée par le profit, l’humiliation infligée à plus bas que soi dans l’échelle sociale.

Assistant du britannique Ken Loach, chez lequel il a probablement appris ce regard documentaire et empathique, Diego Quemada-Diez livre avec Rêves d’or un film important qui n’a rien d’un angélique conte de fées. S’en dégage une force tellurique qui saisit et cloue le spectateur. Les longues courbes des rails reflètent ainsi les méandres d’un scénario riche et imprévisible qui ne se joue jamais d’effets, pariant davantage sur sa sécheresse et sa puissance à la limite du soutenable. À l’heure où les questions d’émigration font tellement débat, ce film indispensable, par le prisme d’une fiction à la fois délicate, juste et inspirée, en rappelle les multiples facettes.
PatrickBraganti
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Fims vus en 2013, Palmarès des films 2013 et Les meilleurs films de 2013

Créée

le 7 déc. 2013

Critique lue 660 fois

8 j'aime

Critique lue 660 fois

8

D'autres avis sur Rêves d'or

Rêves d'or
B-Lyndon
7

La disparition.

Je trouve ça très beau, très honnête. J'aime beaucoup la façon dont le cinéaste se pose les questions du réalisme au cinéma. Il arrive à la fois à capter le réel et lui offrir une inspiration...

le 23 mars 2015

16 j'aime

3

Rêves d'or
pierreAfeu
8

Critique de Rêves d'or par pierreAfeu

Il est rare qu'un film nous happe dès les premières images. Rêves d'or est de ceux-là. De la première à la dernière scène, jusqu'à ce dernier plan magnifique, le premier long-métrage de Diego...

le 24 nov. 2013

15 j'aime

3

Rêves d'or
PatrickBraganti
9

Des trains pas comme les autres

Juan prépare son sac à dos, dissimule à l’intérieur de son pantalon tout l’argent qu’il a pu rassembler et quitte l’abri de tôles dans lequel il vivait. Sans se retourner ni saluer quiconque. Il...

le 7 déc. 2013

8 j'aime

Du même critique

Jeune & Jolie
PatrickBraganti
2

La putain et sa maman

Avec son nouveau film, François Ozon renoue avec sa mauvaise habitude de regarder ses personnages comme un entomologiste avec froideur et distance. On a peine à croire que cette adolescente de 17...

le 23 août 2013

89 j'aime

29

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5