L’action se passe non loin du Rio Grande, fleuve qui fait la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Pour les Mexicains ce fleuve est le Rio Bravo


Cet ultime volet de la trilogie de la Cavalerie est plutôt une suite du premier que du second volet, puisque John Ford reprend le personnage de Kirby Yorke (John Wayne), désormais colonel dirigeant le fort Starke. Ce « New-York » est un homme très attaché à la Cavalerie, à la discipline et à sa mission (voir l’alignement au cordeau des tentes du campement). D’emblée, on remarque (déplore) qu’il n’est plus question de parlementer avec les Indiens, une patrouille dirigée par le colonel Yorke rentrant au fort après une escarmouche. Bilan, un cavalier gravement blessé et 8 Indiens prisonniers, des prisonniers qui ne vont pas se contenter d’accepter leur situation passivement.


La situation est inquiétante et Yorke en réfère à un général (qu’il n’a pas vu depuis 15 ans). Petit soulagement, le régiment accueille de nouvelles recrues, mais cela fait 18 hommes quand il en faudrait 180.


Parmi les nouvelles recrues, Yorke a la surprise de constater que figure son jeune fils Jefferson (Claude Jarman Jr.). Celui-ci a échoué au concours d’entrée à West Point (à cause de l’épreuve de mathématiques…), il ne sera donc jamais officier. Jefferson a probablement hérité la fibre militaire de son père (outre son caractère obstiné et fier), car il s’est engagé dans la cavalerie comme simple soldat. Un engagement qui fait peur à Kathleen (Maureen O’Hara), sa mère. Celle-ci est tellement déterminée à empêcher son fils de se battre et de risquer sa vie, qu’elle l’a suivi dans le but de racheter son engagement (elle irait jusqu’à 100 dollars en or) ! On réalise alors que Kirby et Kathleen ne se sont plus vus depuis 15 ans et on apprécie le scénario (signé JK McGuiness) qui ne divulgue les informations au spectateur qu’au compte-gouttes. Pourquoi Kirby et Kathleen ne se sont plus vus depuis si longtemps ? La dernière fois, c’était en pleine guerre de Sécession et le sergent-major Quincannon a joué un rôle déterminant dans l’épisode, ce que Kathleen n’oublie pas puisqu’elle le traite d’incendieur. Ceci dit, elle sait probablement que Quincannon a agi sur ordre. Qu’en est-il du couple Yorke ? Séparés de fait depuis 15 ans, mais pas fâchés de se retrouver, même si certains points de friction demeurent… Bref, le face-à-face Kirby/Kathleen est électrique. On peut penser que la confrontation a tellement plu à John Ford qu’il l’a gardée en tête avant de l’exploiter à fond dans L’homme tranquille.


Les jeunes recrues sont prises en main par Quincannon (Victor McLaglen égal à lui-même en lourdaud qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre). Les jeunes l’épatent en montant à cheval, deux d’entre eux montant carrément à la romaine. Jefferson s’y essaie à ses risques et périls… Étant le fils du colonel, Jefferson a droit à quelques provocations. Et Quicannon est rapidement identifié comme « l’abruti de sergent ». Même s’il tarde à réagir, la bagarre est inévitable…


Tout ce que Ford filme au fort Starke est remarquable, le meilleur étant donc dans la subtilité de l’histoire de la famille Yorke (peut-être Jefferson finira-t-il sergent, menant ainsi la famille sur les chemins de la gloire…) La Cavalerie reste une formidable source d’inspiration pour Ford qui filme ses personnages comme il filmerait ses enfants. Dommage que la trame générale soit basée sur un enjeu nettement plus faible que dans Le massacre de Fort Apache et sur quelques péripéties qui ne sont plus spécialement originales (le convoi de femmes). D’ailleurs, si le film s’intitule Rio Grande, le seul épisode qui y est situé (quand Yorke parlemente avec les Mexicains), donne l’impression d’un anecdotique jeu du chat et de la souris. Quant au personnage de Travis Tyree (Ben Johnson), s’il court (proprement !) et monte à cheval (remarquablement), il se retrouve libre très opportunément alors qu’il a été arrêté pour meurtre. Il faut dire qu’il aura un rôle déterminant dans le dénouement de l’intrigue militaire. Cette intrigue débouche sur l’enlèvement d’un groupe d’enfants. Ceux-ci sont séquestrés dans une église (avec une croix évidée dans la porte, symbole un peu facile d’une croyance supposée plus forte que celles des Indiens parce qu'ayant le bénéfice du nombre), église dont la surveillance est étrangement relâchée. Enfin, dans l’affrontement libérateur (parce que, c’est bien connu, la Cavalerie arrive toujours à temps), l’Indien qu’on voit prendre son temps pour ajuster un adversaire, tire quand celui-ci lui tourne le dos… pour l’atteindre d’une flèche en pleine poitrine !


Ce film n’est donc pas irréprochable. Il est néanmoins typique de John Ford, un réalisateur immense et au métier incomparable (voir sa direction d’acteurs, ses cadrages, son goût des détails justes, etc.) capable de toucher le spectateur comme personne, en faisant naître l’émotion au travers de scènes intimistes à première vue guindées. Ainsi quand un militaire sans états d’âme (au garde-à-vous où devant tancer un de ses hommes), adresse des recommandations ou reproches d’un ton ferme où percent bienveillance et amour filial. Le colonel Yorke convoque son fils, scène très rigide où perce tout l’humanisme de Ford et la sensibilité des personnages. En quelques mots, le colonel affirme ses valeurs et on sent que son fils fera son possible pour se montrer à la hauteur. Reste à savoir si, au gré des événements et des responsabilités qu’il va assumer, Jefferson sera suffisamment aguerri pour faire face à l’imprévu.


Ce film a fait les beaux jours de la Dernière Séance chère à Eddy Mitchell, est-ce un hasard si son hommage en musique est devenu un tube ?


Pour revenir sur mon titre, la filiale Ford au cinéma, c’est l’assurance d’un certain état d’esprit. Contrairement à son homonyme du domaine automobile, sa production régulière n’est jamais synonyme d’uniformisation (mais de subtiles variations), même si, bien évidemment, avec sa trilogie de la Cavalerie John Ford témoigne de son amour pour l’uniforme.

Electron
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le 16 juil. 2014

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