Rocco
6.2
Rocco

Documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (2016)

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« Rocco » est de ces films curieux, qui fascinent malgré leurs imperfections, parce qu’ils sont parvenus à capturer l’essence de quelque chose d’important, et de vrai.


Vendu comme le portrait intimiste de l’une des plus grandes stars du X, le documentaire oscille tantôt entre effeuillage psychologique de l’ « homme derrière les 22cm » et plongée au sein de l’industrie pornographique. Naturellement, c’est ce second aspect qui avait éveillé ma curiosité ; on a trop rarement l’occasion de découvrir les coulisses de ce monde d’autant plus secret qu’il est surexposé, de voir l’envers du décor –ou du moins pas dans des documentaires de qualité, construits autour d’une véritable réflexion artistique.


On pourrait reprocher à ce documentaire sa voix-off omniprésente, qui s’efforce d’apporter une dimension mélancolique parfois peu subtile, ou émettre des réserves sur l’esthétique assez fade du film et son manque de neutralité –le parti pris est de mettre en avant les fêlures et la douceur de l’acteur, en négligeant l'aspect jusqu’au-boutiste et agressif qui a fait sa renommée. De même, l’artificialité de certaines scènes à charge émotionnelle nuit à la sincérité et l’harmonie de l’ensemble.


Étonnamment, ce ne sont donc pas les séquences délibérément mélancoliques –comme le rappel récurrent de la mort précoce du frère de Rocco ou le fort lien qui le rattache à sa mère– qui offrent au film ses plus belles envolées. L’intérêt de ce documentaire réside pour moi dans les non-dits, les entre-deux et les infinis détails des profils psychologiques effleurés.
Bien sûr, il y a Rocco, son addiction au sexe et son rapport à la pornographie en général ; le contraste entre la pudeur de la relation qui le lie à ses enfants, toute en retenue, et la promiscuité instantanée des acteurs dans le milieu du X, qui établissent des liens de familiarité biaisés. Mais c’est surtout les personnages gravitant autour de l’étalon italien qui apportent une dimension supplémentaire au documentaire, à l'instar des actrices débutantes, qui tentent à tout prix d’impressionner Rocco.


De fait, la caméra prendra le temps de s’arrêter sur le visage mi-apeuré mi-déterminé d’une actrice novice aux cheveux blonds, encore gauche et mal à l’aise dans ce monde qu’elle connait mal. Ou bien de lever le voile avec délicatesse sur l’épouse de Rocco, cette femme sobre et élégante qui éveille l’incompréhension sur la façon dont elle parvient à accepter le quotidien de son mari. La caméra s’attarde aussi sur Kelly, actrice vieillissante libérée sexuellement, qui se revendique féministe et soulève plusieurs questions sur l’inégalité hommes-femmes dans ce milieu. Son franc-parler permettra notamment de faire exploser la boule d’émotions contenues du cousin de Rocco, qui constitue d’ailleurs le héro alternatif du film, et la personnalité la plus intéressante de cette large fresque. Italien au sang chaud, il évolue dans l’ombre de son cousin et lui consacre sa vie ; plus petit, moins talentueux et futé, son incompétence sera plusieurs fois sujette aux moqueries, mais son affection pour Rocco n'est jamais remise en question. Cet état de frustration permanente se voit néanmoins exacerbé par les provocations de Kelly, qui permettent de capturer une scène de coup d’éclat particulièrement touchante, à la fois pathétique et criante de sincérité.


C’est finalement dans toutes ces questions sous-jacentes posées par cette galerie de portraits que le film trouve son essor, permettant au spectateur d’entrevoir et de décortiquer plusieurs objets de fascination. Alors certes, la morale de ce documentaire est un peu grossière, mais elle n'en demeure pas moins importante: oui, les films X sont "cochons", mais non, les personnages évoluant dans le milieu ne sont pas des porcs; ils ont leur sensibilité, leur humanité et leurs subtilités.

Marraine
7
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le 6 déc. 2016

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