Roger Dodger
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Roger Dodger

Film de Dylan Kidd (2002)

Je reste encore imprégné de mes lectures de The game et The truth de Neil Strauss, et de mon visionnage dans la foulée de l’émission The pickup artist. Alors si je n’arrive pas à m’en détacher, tant qu’à voir des films, autant que ça touche encore au domaine de la drague et des rapports humains.
Et donc après une rapide recherche, je suis tombé sur Roger Dodger.


Roger Swanson est un homme à femmes qui, accessoirement, travaille comme publicitaire. Personnage très intellectuel et calculateur, aussi bien pour vendre ses produits que pour séduire ; au fond sa démarche semble la même : rentrer dans la tête des gens et les manipuler pour arriver à ses fins. "You can’t sell a product without first making people feel bad. (…) You have to remind them that they’re missing something from their lives".
Roger arrive à dresser un profil psychologique aussi efficacement qu’Hannibal Lecter, ce qui donne des situations tout à fait captivantes, bien que certaines vont tellement loin que je ne suis pas sûr de leur crédibilité.
Il y a sûrement une époque où ce don de clairvoyance aidait à draguer, mais aujourd’hui on voit un Roger désabusé, très cynique, qui a l’air lassé que les gens tombent trop prévisiblement dans les mêmes clichés.


Son neveu de 16 ans, Nick, vient un jour lui réclamer son aide. Et Roger lui apprend toutes les ficelles, le voir à l’œuvre est comme voir travailler une machine bien rodée après des années d’habitude, il est une sorte de manuel vivant qui a accumulé une tonne d’astuces sur tous les aspects de la séduction. Et même quand on croit qu’il se foire, c’est en fait calculé.
Ca a un aspect à la fois drôle et ludique, et j’ai eu presque la même sensation que dans The game, de découvrir un univers caché et insoupçonné, à travers des situations captivantes.
D’un point de vue dramaturgique, c’est prenant de suivre l’évolution d’un néophyte qui a tout à apprendre, et sa progression est amenée de façon très intelligente et naturelle par le scénario, le tout au cours d’une seule soirée.
Mais ce qui rend aussi le film fascinant c’est que les remarques du héros sont étonnamment justes et ses théories inédites mais pleines de sens (le "winning time" en soirée, c’est la première fois que j’entend parler de ça), surtout que certains de ses conseils vont à contrecourant des réflexes de la plupart des gens.


Le scénario donne également beaucoup à réfléchir en abordant sous un angle original ce qui touche au sexe et à l’attraction. Roger nous abreuve de réflexions intrigantes et pertinentes.
Les propos sont "brutalement honnêtes" (comme disent les américains), peu importe que ce soit politiquement incorrect, c’est ça qui les rend captivants : le héros parle de sujet tabous sans prendre de gants, et fait des remarques déstabilisante dessus, mais très pertinentes. Roger livre ses théories sur la distinction entre la procréation et le plaisir sexuel, ou sur l’obsolescence de l’homme à l’aube de la procréation sans la nécessité du sperme, et cela avec une approche très factuelle et pragmatique. Mais les dialogues évitent la froideur en étant ponctués de touches d’humour.
J’y vois une démarche semblable à celle de films de la nouvelle vague (chez Rohmer, surtout), et ça a le même effet libérateur que de pouvoir profiter de conversations à l’esprit ouvert, où on ne réprime rien au nom des conventions sociales ; on dit librement ce qu’on pense.
Roger Dodger se retrouve tout de même à prendre en compte l’aspect néfaste de certaines démarches de son héros ; au bout d’un moment, plus le film avance, plus il devient malsain. Mais le neveu de Roger a assez de bon sens pour dissocier lui-même ce qui est bon à prendre ou non dans les conseils qu’on lui fournit.
Le film finit par présenter un juste milieu, en montrant les astuces de tonton Roger non pas comme un moyen de tout contrôler du début à la fin, mais d’ouvrir certaines portes, et de voir ce qu’on en fait ensuite.


L’acteur qui tirent le rôle principal a été très bien choisi, Campbell Scott est un quadragénaire élégant, à la fois sûr de lui et détaché, de quoi lui donner un air cool et mystérieux sans qu’il semble faire un quelconque effort pour cela. Il a le profil parfait pour rendre naturelles toutes les répliques de Roger, où il impose sa vision du monde sans laisser l’ombre d’un doute sur sa validité. En plus Scott a des airs d’Adrian Pasdar, ce qui m’a évoqué avec plaisir le personnage tout aussi manipulateur de Jim Profit.
Isabella Rossellini n’est plus à présenter, mais elle aussi été très bien castée, dans ce rôle de boss féminine mais qui sait se montrer autoritaire, sans même avoir besoin d’hausser la voix.
Et Jesse Eisenberg, dans le rôle de l’ado introverti et nerveux, euh… voilà.
En tout cas la qualité à la fois de l’écriture et du jeu rendent les dialogues très fluides et agréables à suivre.
La seule chose que je n’ai vraiment pas aimé dans Roger Dodger, c’est la mise en scène : pratiquement tous les dialogues sont filmés en plan rapprochés voire gros plans sur les visages, en très longue focale, et en caméra portée. Les amorces très présentes font de gros flou au milieu du cadre, et c’est d’autant plus frustrant quand ça cache les visages.
Cette réalisation crée un effet anxiogène qui sied mal au film.


A part ce dernier point, j’ai adoré Roger Dodger. Je regrette que Dylan Kidd ne soit pas un réalisateur/scénariste plus prolifique.

Fry3000
8
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le 11 janv. 2017

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