Rush
7.2
Rush

Film de Ron Howard (2013)

Le bec de lièvre et la tortu(rbo).

Pourquoi aimé-je le cinéma ?

On devrait se poser cette question plus souvent. Elle m'est venue à l'esprit très rapidement devant ce film. Avec une réponse possible. J'ai d'ailleurs longtemps pensé que je mettrai 10 à "Rush". Oui. Ce sont quelques petites scories sur la fin qui me font être plus raisonnable.

On ne saurait moins bien me vendre un film qu'avec la bande annonce VF de celui-ci. Y a du mieux avec la VO mais c'est toujours pas ça. La F1 me rappelle les nombreux dimanches de mon enfance, à voir mon père truster la télé pour regarder les qualifs, les grands prix, et tutti quanti. J'ai donc une culture, chiche et récente, de ce domaine sportif qui ne m'a jamais guère passionné. Du coup, un film sur le sujet, non merci. Surtout quand on songe aux autres films du sous-genre course de F1, le calamiteux "Michel Vaillant" en tête. Et plus globalement, le genre du film de bagnoles, avec testostérone et misogynie de bon aloi, c'est plutôt gerbant, même si j'avoue être intrigué par "Speed Racers".

Donc ce "Rush" partait très perdant. Jusqu'à ce que je lise ici et là des articles sur le film, élogieux. Sur son sujet, cinématographique en diable. Sur son scénariste enfin, celui à qui l'on doit "The Queen" pour Frears, "Frost/Nixon" ou "Le Dernier Roi d'Ecosse". Et qu'on nomme Peter Morgan. C'est l'homme du film, plus encore que son réalisateur ou son duo d'acteurs. Les dialogues sont brillants, incisifs, souvent très drôles ou cruellement justes. Et surtout, ce biopic bâtard, ou double, affiche une caractérisation des personnages d'une subtilité désarmante.

Car point de clichés attendus ou de manichéisme nauséabond dans ce film : en un double prologue en voix-off, on sait qu'on aura affaire pendant deux heures à deux conceptions différentes du sport et de la vie, mais à deux conceptions d'égocentriques, l'un froid, calculateur et antipathique, l'autre narcissique et volontiers odieux. Deux connards en somme. Et c'est ça qui est génial. On déteste immédiatement Niki Lauda, campé par un Brühl tout en grimace figée et en accent forcé - plutôt convaincant au passage. Et si Hunt / Hemsworth séduit par sa bonhomie et sa plastique, difficile de ne pas voir ce qui crève l'écran : le racisme et la misogynie du pilote. Très vite le film affine cette étude asymétrique, Lauda reste antipathique mais très humain, Hunt montre également des qualités mais qui ne se départissent pas de sa bêtise. Les dialogues aident grandement à faire apprécier les personnages, autrement on aurait vraiment juste un affrontement entre deux types pas vraiment fréquentables. La tension qui règne et les piques qu'ils s'envoient laissent filtrer un humour bienvenu.

D'autres séquences, plus individuelles, sont également drôles, comme cette virée en campagne italienne avec Marlene, au volant d'une vieille bagnole où jubilent deux ritals gentiment à fond. La mise en scène de Howard est flamboyante pour les courses (30 caméras pour les filmer) et diablement efficace à l'échelle du film : spectaculaire ce qu'il faut, avec un souci appréciable de la reconstitution pour les costumes et accessoires (les voitures). Le connaisseur y prendra un malin plaisir.

Parlons-en, du connaisseur. Les faits sont réels, aussi énormes soient-ils, et le film a finalement peu de marge pour faire du romanesque. La rivalité des deux pilotes était notoire, les courses et conférences de presse enregistrées et retransmises. Les bons mots que l'on entend sont donc les leurs, et les rebondissements multiples au cours du championnat sont avérés. Au vu de tout cela, il est surprenant que personne n'ait pensé plus tôt à faire un film sur le sujet, parce que niveau suspense, on est quand même blindé. Je ne connaissais pas cette histoire avant le film - je suis trop jeune et ça ne m'intéressait pas - mais j'ai vécu le film avec intensité, comme si je regardais réellement une compétition. Et là-dessus, "Rush" est une réussite passionnante : le film transmet quelque chose de l'excitation, du stress, de l'adrénaline provoquée par la course et le spectacle sportif. Pour la première fois, je vois un film qui arrive à rendre palpable, vivant, cinématographique cet ensemble de sensations. Il n'est pas pauvrement illustratif, il n'est pas non plus une simple esbroufe mécanique. Intelligemment, le cinéaste intercale des scènes-indices : Hemsworth jouant sur un circuit électrique, ou bien les formidables - et quasi insoutenables - séquences hospitalières.

Il y a en effet un vrai sado-masochisme dans le film : Brühl est enlaidi à l'extrême, et son personnage s'inflige la douleur psychique de la défaite en plus de la douleur physique du traitement qui le remet sur pied. On peut ne pas adhérer à ses principes et à sa sociabilité, mais j'ai rarement vu un égo au mental aussi fort dans un film sportif. Deux conceptions, que des dialogues parfois légèrement explicatifs viennent asseoir.

Revenons à nos moutons (ou plutôt à nos chevaux) : pourquoi aimé-je le cinéma ?

Parce qu'il arrive encore et toujours à me surprendre agréablement, à me faire adorer un objet que d'avance je pensais perdu, à m'intéresser avec ce qui m'ennuie, à m'émouvoir profondément (l'abandon de Lauda pour retrouver sa femme) avec ce qui me laisse d'ordinaire de marbre.
Deux connards oui, mais des connards magnifiques.
Krokodebil
8
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le 29 sept. 2013

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Krokodebil

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