Le marquis de Sade, un brave homme connu pour les frasques qu'on lui a inventées et sa production sulfureuse, écrit Les 12O journées de Sodome alors qu'il séjourne à la Bastille au cours de l'année 1785. Il en fait une copie tenant du microfilm qui sera placée entre les pierres de sa cellule, anecdote passionnante à détailler en surfant toi-même sur le net. (NB: en fin de critique, quelques notes biographiques croustillantes). Toujours est-il que le manuscrit est d'abord publié par un psychiatre allemand au tout début XXe pour le caractère psychologique important de l'oeuvre; peu de temps après celle-ci repasse le Rhin pour se voire éditée dans la langue du swagg et répandre son souffle brûlant dans les esprits, en ce temps où la pornographie n'existait pas.
Cependant, les lecteurs pervers désenchantent vite, avec une descente aux enfers que Pasolini a mieux qu'adaptée.

Point culture sur Pasolini: il est italien (qui l'eût cru?). Et il est mort assassiné pas longtemps avant la sortie du film, certains y voient une causalité. Pour la petite histoire, il se trouvait sur une plage quand une voiture lui passa, repassa et encore plein de "re" et de "passa", jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Quatre hommes _à savoir un évêque, son frère le duc, un financier et un président_ , sous Mussolini, prennent le parti de rassembler 9 jeunes filles et 8 jeunes garçons, vierges, de grande beauté dans une villa isolée et d'en faire leur pâture avec l'aide de leurs "fouteurs". Il faut savoir que tout cela est prémédité, que chaque enfant a été enlevé à ses parents puis sélectionné sur une multitude, qu'un règlement est déjà fixé et que les journées s'articuleront selon un emploi du temps précis.
Le check-up des enfants en premier lieu, chaque matin.
Déjeuner servit par les épouses, nues, de ces messieurs.
Les séances de récit organisées en 2 actes, où des maquerelles racontent leurs expériences les plus originales.

Plus c'est crade, plus ils bandent. Ensuite, les amis reproduisent ce qu'il ont entendu avec la collaboration forcée des enfants. Je ne vous laisse pas imaginer les tableaux qui suivent: coprophagie de groupe, mariages forcés, sodomie et tutti quanti.

P plante le cadre dans un pays verdoyant d'uniformes nazis où il fait toujours beau, sans autre musique qu'un piano officiant pendant les séances de récit. Tout au long du film, on se sent s'enfoncer sous le sol sans sortir de cette vicieuse villa, parallèlement aux actes notés successivement Girone delle manie, mierda, sangue et l'Antiferno qui désignent les cercles infernaux. La caméra ne quitte pas l'enceinte de ces murs depuis que les enfants y sont enfermés, elle enregistre toujours à hauteur d'homme, donnant au spectateur le rôle d'un témoin qui tantôt se baisse à la fenêtre et tantôt se sert de jumelles pour regarder un martyre.

La réputation de ce film est vérifiée notamment à travers la scène finale qui est d'une brutalité indescriptible. Le Girone delle sangue ne supporte pas d'intrigue, de paroles, mais deux danses, une première est douloureuse et aphone face à sa jumelle plus nonchalante, de cette opposition naît un puissant contraste.
L'oeuvre passe d'affreuse à abominable et c'est l'horreur qui est venue me saisir et me glacer les entrailles quand j'ai vu des jeunes gens se faire scalper, émasculer, énucléer, subir des mutilations qui n'ont pour justification que le plaisir sadique de quatre psychopathes.
Je me demande pourquoi le cinéaste a laissé un pareil testament, j'avoue ne ressentir qu'un profond dégoût pour cette violence gratuite. Serait-ce la catharsis voulue?

On voit beaucoup d'interprétations différentes. Une fois c'est pour dénoncer le fascisme, l'autre, c'est pour avertir contre la société de consommation, etc... Ce que j'ai vu, c'est un violent réquisitoire contre la violence, et c'est là toute la prouesse de Pasolini, d'avoir su dévié les fleuves sadiens pour former un torrent balayant les formes de dominations des sociétés post-industrielles qui aliènent l'être humain. Seulement, il n'est pas là pour le dire alors laissons ces paradigmes pour nous tourner vers des choses plus joyeuses!


Le saviez-vous?
Le marquis a passé 27 ans en prison, soit deux ans de plus que Mandela, au nom de la liberté d'expression. Son incarcération a toujours été accompagnée des accusations de sa propre famille notamment sa marquise de femme qui lui attribuait toutes sortes de vices. Sade fut un libertin durant sa jeunesse et une des seules exactions que l'on lui connaisse est un empoisonnement fort pittoresque à la cantharide, une substance aphrodisiaque dont il a garni des bonbons pour les offrir à des prostituées qui porteront plainte.
Il a été également un instigateur de l'abolition de la peine de mort sous la Révolution, position dangereuse d'ailleurs en ces temps obscurs. Pionnier du théâtre thérapeutique, il monte une troupe dont il écrit les pièces dans la maison de santé où il fut enfermé et où il mourut.
Même après son trépas, le "divin marquis" ne s'est pas tu, et ce sont des phrases telles que "jouir sans entraves" et "il est interdit d'interdire" que ses lèvres sans vie ont laissé couler sur les barricades de 68.
cyprine
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le 14 janv. 2014

Modifiée

le 17 janv. 2014

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Saucial Traitre

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