Une grande partie de la production cinématographique italienne des années 70 demeure injustement méconnue (ou ignorée) par la critique française. S'il est vrai que le cinéma transalpin a pondu nombre de navets, il faut reconnaître qu'un grand nombre de films passionnants ont jailli du vivier populaire. Loin du prestige d’Antonioni, Fellini ou Visconti, des centaines « d’artisans » du cinéma populaire ont offert au cinéma mondial des chefs d’œuvres. La plupart de ces longs métrages sont aujourd'hui tombés dans l'oubli. Qui se souvient de Fernando Di Leo ? Réalisateur prolifique, qui, au sein une filmographie hétéroclite, a livré quelques chefs d’œuvres du poliziottesco (polar italien).

Ne vous laissez pas décourager par son titre français affligeant, car Salut les pourris vaut le détour. Tourné au milieu des années de plomb à Milan, le film témoigne de son époque et révèle un scénario audacieux et intelligent. L'histoire suit la trajectoire d'un "super-flic" milanais qui combat la mafia et les trafics dans une Italie rongée par la corruption et la violence. Sans spoiler, l'on peut dire que Salut les pourris commence comme un polar classique, avec son début sur les chapeaux de roue, ses scènes de violence expéditives et son héros viril ... Avant d'opérer un twist inattendu et gonflé qui dynamite ce genre extrêmement codifié. Dès lors, le scénario se complexifie et révèle sa vraie nature. Di Leo joue sciemment sur l’ambiguïté et mise sur la profondeur des personnages tout autant que sur les cascades. A ce titre, la relation entre le personnage principal et son père, ainsi que les dilemmes moraux soulevés par le nœud de l'intrigue sont tout à fait intéressants. Di Leo dépeint l'Italie comme un pays gangrené par la corruption et aux mains de la mafia. Selon son point de vue, tout le monde ou presque est pourri et les quelques incorruptibles sont destinés à disparaitre sous les coups de la mafia. Le réalisateur déroule son argumentaire implacable jusqu'à la fin du film, d'une noirceur extrême, qui surprend par sa brutalité et son nihilisme absolu. Salut les pourris est une œuvre d’une rare audace sur la plan scénaristique, qui n’a rien à envier sur ce plan au Samouraï de Melville et qui est même supérieure à nombre de productions US de l’époque.

Alors qu'il ne disposait que d'un budget limité et d'une poignée de semaines de tournage, Fernando Di Leo se distingue grâce à sa réalisation simple mais efficace. L’alternance entre les plans en caméra à l’épaule lors des séquences musclées et la caméra posé pour les dialogues fonctionne bien. Quelques plans audacieux (notamment le tout dernier) sont sublimes. Seuls quelques zooms intempestifs paraissent aujourd’hui vieillots. Il faut également saluer les formidables scènes de poursuites en voiture, chorégraphiées par le grand Rémy Julienne, qui sont d’une modernité à faire pâlir bien des films actuels. A cette époque, les effets visuels n’existaient pas et tout était tourné « en vrai », l’effet n’en étant que plus grand sur le spectateur, qui est véritablement embarqué dans l’action. La distribution, comme souvent en Italie à l’époque, est internationale, avec des dialogues entièrement postsynchronisés. Le héros, Domenico Malacarne, est campé par Luc Merenda, acteur français expatrié en Italie, qui fut l’une des stars du cinéma populaire transalpin. Malheureusement, il semblerait qu’il ait été choisi pour sa notoriété et sa « belle gueule » plus que pour ses qualités d’acteurs dramatiques. En effet, il parcourt le long-métrage sans conviction et avec un air placide et monolithique, dommage car le rôle aurait mérité un grand interprète. Cependant, Luc Merenda sauve l’honneur lors des scènes d’action, où il est tout à fait crédible. En revanche, Salvo Randone, qui joue le père du héros, est excellent, tout comme Richard Conte, star du cinéma américain des années 40, qui campe un « méchant » atypique car suave et poli, à mille lieux des bad guys caricaturaux de ce genre de productions. Le reste du casting est assez crédible dans l’ensemble. Du côté de la musique, les amateurs du genre ne seront pas déçus puisqu’elle est signée Luis Bacalov (Django, notamment). Il livre un score fort à propos.

Au final, Salut les pourri est un des joyaux du polar italien des années 70 qui possède un double mérite : divertir tout en faisant réfléchir. Loin de la morale convenue et du simplisme ambiant, le film étonne par son réalisme et son acuité sur la nature et les rapports humains. Un poliziottesco mélancolique et profond, qui, s'il n'est pas exempt de défauts, constitue le haut du panier d'un genre injustement oublié. A découvrir ou à redécouvrir !
Mathetes
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le 21 juil. 2014

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