En matière de film d'épouvante paranormal, Pengabdi Setan (Satan's Slaves chez nous) est à l'Asie ce que Conjuring est à l'Occident : une grosse machine de guerre ultra-marketée, très regardée et commentée, qui dispose d'un confortable budget et, tout de même, d'une vision artistique affûtée (surtout si on le compare au tout-venant du genre récent). Le premier épisode, qui fut un succès international notable, mettait une famille aux prises avec une secte étrange s'inspirant des rites et croyances musulmanes d'Orient. Cette suite, qui est le premier film indonésien conçu pour l'Imax (c'est dire le niveau), déplace l'action dans une tour d'habitation entière. Le modèle pourra évoquer rétroactivement le film "La Tour" de Guillaume Nicloux, à ceci près que si notre "relecture française officieuse" a été unanimement vue comme un ratage, le film de Joko Anwar garde de nombreux atouts. Si nombreux, à vrai dire, que dans une année 2023 aride en sorties de qualité, ce deuxième Satan's Slaves peut honnêtement être considéré comme l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur film d'épouvante de l'année à être arrivé sur nos plates-formes de streaming (le film est en l'occurrence dispo sur Shadowz). Pourquoi ? Comment ? La raison est simple, ma foi : Satan's Slaves 2 est un film vraiment flippant, qui concurrence avantageusement nos sorties habituelles grâce à sa thématique rarement vue chez nous.


Le folklore spirituel musulman n'est en effet que peu abordé dans notre cinéma fantastique occidental, qui se débat sur le sujet avec une poignée de demi-nanars et aucun challenger sérieux (ne me vient en tête que notre "Kandisha" national, de Julien Maury et Alexandre Bustillo : c'est bien, mais c'est pas le Pérou...). Et si on parle de sa variante asiatique, c'est bien simple, il n'existe simplement pas, que ce soit sur grand ou petit écran. Le plaisir n'en est donc que plus grand de découvrir cet univers dans un film d'horreur : rites funéraires, ésotérisme et apparitions fantomatiques s'y révèlent originaux, presque neufs, et apportent avec eux de nouveaux moyens de susciter la trouille. Joko Anwar a conscience qu'il défriche un terrain vierge pour le marché international, et si son film a cartonné sur son continent, c'est peut-être bien davantage l'Occident qui sera le plus à même de tomber sous son charme singulier, ce qui ne manque pas d'ironie quand on voit la très faible exposition qui lui a été accordée chez nous (en France, une seule sortie minuscule sans publicité sur une plate-forme au public relativement restreint, ce n'est pas ce qu'on peut appeler un carton...). Satan's Slaves : Communion regorge en effet de scènes d'angoisse à la structure originale, et pour le spectateur, le seul fait d'être débarrassé, ne serait-ce que le temps d'un film, du vu et revu folklore catholique est une pure bouffée d'air frais qui donne l'impression d'explorer un nouvel univers de frousse.


Et ce nouvel univers est en réalité multiple, puisqu'aux rites et croyances musulmanes, Joko Anwar ajoute l'originalité du cadre en tant que tel, cette tour d'habitation donc, dans lequel l'intégralité du film se déroule. Une tour qui, elle-même, a la double spécificité de sa structure, rarement employée dans le film d'horreur (on n'est plus dans un simple appartement, mais à l'échelle d'une petite ville enfermée dans un immeuble), et de son style local, le bâtiment étant à l'évidence dans un demi-état de délabrement et d'austérité propre aux zones urbaines modestes de l'Indonésie. Entre murs pas peints ou effrités, couloirs lugubres et grands halls à l'architecture brutalisto-cheapos, Anwar veut clairement donner à l'immeuble qui sert de lieu unique le caractère d'un personnage malaimable et réaliste, pour une immersion qui n'en est qu'augmentée. L'espace est bien utilisé, les petits groupes que forment les résidents pour assurer leur survie dans cet immense bunker privé d'électricité louvoient de façon crédible dans ses différentes zones, où prévaut un sentiment de promiscuité permanent. Plus loin, le réalisateur prend soin de donner du sens à cette tour en tant que "personnage de film d'horreur" à part entière, en récupérant ses composantes propres (l'ascenseur, le vide-ordures...) pour trousser plusieurs scènes d'effroi ou de gore stupéfiantes, dont certaines sont tout simplement anthologiques dans leur structure, leurs techniques d'épouvante associées (la claustrophobie est de rigueur) et parfois leur violence graphique, qui n'hésite pas à partir quand il le faut dans le gros rouge qui tache.


C'est d'ailleurs aussi dans ce mélange étonnant entre angoisse paranormale (les fantômes bien glauques pullulent) et gore assez frontal (ils ne sont pas gentils du tout, et n'hésitent pas à tuer leurs victimes de façon très cruelle) que Satan's Slaves 2 trouve un équilibre séduisant : le film est équitablement effrayant et dégueulasse, avec de très efficaces séquences d'angoisse classiques (à la Nakata ou Shimizu, pour n'en citer que quelques-uns, mais avec des fantômes ancrés dans la religion musulmane donc) auxquelles répondent des scènes de meurtres ou d'accidents aussi sanglantes que percutantes. Si, bien souvent, les films de ce genre finissent par faire pencher la balance vers l'un ou l'autre, Joko Anwar fait montre d'un souci d'égalité qui n'en facilite que mieux les ascenseurs émotionnels et coups de flip brutaux chez son spectateur, lequel ne peut jamais vraiment deviner à l'avance si la couleur d'une scène ou d'une autre sera à dominante spirituelle ou gore. Cela donne au film une teinte imprévisible qui nous maintient dans un état de doute et d'alerte permanents, assez délicieux au vu de l'aisance du cinéaste sur l'un et l'autre tableau.


Budget oblige, Satan's Slave 2 est propre, très propre. Techniquement, les décors sont impeccables, les éclairages aussi avec une photo naturellement sombre qui n'en fait pas des caisses. La réalisation ample d'Anwar est aussi un réel atout du film, qui peut compter sur sa sobriété et sa maîtrise du cadre pour donner à chaque scène une couleur unique et envoûtante, en s'autorisant parcimonieusement des effets de style très élégants, jamais over-the-top, assez proches dans le style de notre James Wan local. Secoués dans un shaker avec délicatesse, ces ingrédients cohabitent en pleine harmonie et forment un tout cohérent, puissant, dont le gros budget affiche en permanence son utilisation raisonnée et intelligente. Pris comme un produit local, Satan's Slaves 2 mérite probablement son statut de carton en Asie, où il peut se targuer de faire revivre en genre moribond en tentant, et en réussissant, plusieurs originalités délicieuses. Pris comme un produit international, le film n'en devient que plus précieux, en permettant à un public étranger à son style de découvrir un nouvel univers de flippe qui n'avais jamais été mis en scène chez nous. Tout juste lui reconnaîtra-t-on d'évidents rapprochements avec nos gros films de studios ; mais c'est au final plutôt une qualité, un trait d'union avec notre propre culture qui ne permet que mieux de s'immerger dans sa proposition plutôt radicale, dont l'une des grandes qualités est de s'adresser à la fois à un grand public et aux fans de fantastique en particulier. Ces derniers trouveront dans Satan's Slaves 2 plusieurs des meilleures scènes d'angoisse et d'horreur récentes, enrobées dans un écrin très original, sur le fond comme sur la forme.


boulingrin87
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 3 nov. 2023

Critique lue 117 fois

2 j'aime

Seb C.

Écrit par

Critique lue 117 fois

2

Du même critique

The Lost City of Z
boulingrin87
3

L'enfer verdâtre

La jungle, c’est cool. James Gray, c’est cool. Les deux ensemble, ça ne peut être que génial. Voilà ce qui m’a fait entrer dans la salle, tout assuré que j’étais de me prendre la claque réglementaire...

le 17 mars 2017

80 j'aime

15

Au poste !
boulingrin87
6

Comique d'exaspération

Le 8 décembre 2011, Monsieur Fraize se faisait virer de l'émission "On ne demande qu'à en rire" à laquelle il participait pour la dixième fois. Un événement de sinistre mémoire, lors duquel Ruquier,...

le 5 juil. 2018

77 j'aime

3

The Witcher 3: Wild Hunt
boulingrin87
5

Aucune raison

J'ai toujours eu un énorme problème avec la saga The Witcher, une relation d'amour/haine qui ne s'est jamais démentie. D'un côté, en tant que joueur PC, je reste un fervent défenseur de CD Projekt...

le 14 sept. 2015

72 j'aime

31