--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au neuvième épisode de la cinquième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Secret_of_the_Witch/2727219
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


Puisque pour la journée des morts j’avais découvert cette horrible remake en forme de blasphème de son aïeul, je me devais de rattraper le coup en mettant au programme d’Halloween quelque chose de plus qualitatif. J’ai donc quitté mon cycle italien (il était fini de toute façon, nous n’étions plus du tout dans les années 60, plus vraiment en Italie, et même à peine dans le cinéma d’épouvante, avec le remake de Luca Guadagnino, mais il y avait une logique certaine à le regarder à la suite), pour me rabattre vers un autre mastodonte du cinéma de genre, quasiment également fameux que mon bon ami Dario Argento, et partant avec une marche d’avance dans mon estime, le génial George A. Romero. Pourquoi une marche d’avance te demandes-tu, lecteur curieux (si tu ne l’es pas peu m’importe, je ferai autant de digressions que j’en aurai envie avant de parler du film…) ? Eh bien parce que lui, contrairement à Argento, avait su se démarquer avec une élégance certaine lors des précédentes éditions du mois-monstre. Si j’avais jugé son Martin plus anecdotique dans l’histoire du vampire au cinéma que le Dracula 3D d’Argento (cela m’avait valu de ne découvrir Martin que trois ans plus tard, lors de la deuxième édition du mois-vampire), Romero m’avait prouvé que je m’étais lourdement trompé, avec un film incroyablement subtil, chargé en double lecture passionnante, renouvelant et le film d’horreur, et le film de vampire, avec beaucoup de subtilité, malgré (ou peut-être grâce à) une admiration visible pour tous ceux qui l’ont précédé dans cet exercice. Donc, Romero partait avec un fort positif a priori de ma part.


Maintenant que dire ? C’est enfoncer des portes ouvertes de dire que son incursion chez les sorcières est moins facilement accessible que sa visite dans le quartier vampire. Mais si j’ai été un peu déroutée par l’aspect austère du film, je ne peux pourtant pas décemment le qualifier de moins subtil et riche en double-lecture sociale, ou bienveillant à l’égard du monstre à l’hommage. Visant à nouveau les populations vivant des vies rangées dans des banlieues pavillonnaires, questionnant ces vies en profondeur -dans leur but, dans leur fonctionnement, dans leur toxicité-, Romero excelle à nouveau dans sa façon subtile de glisser du fantastique dans l’archi-quotidien. A l’aide d’une scène de rêve d’ouverture complètement démentielle (et d’ailleurs qui reste inégalée dans son génie pour le reste du film), Argento campe à la manière d’un conte malade une situation initiale et un élément déclencheur clair : 1) Joan est une honorable mère de famille. 2) Joan s’ennuie. 
Un peu court direz-vous ? Que nenni rétorque Argento. Là où se situe la bizarrerie du film, ce qui le rendait, disais-je en ouverture, assez austère, est que l’on plonge dès le réveil du protagoniste dans le même ennui perpétuel, dans le même environnement glaçant de toxicité courante. Et on y reste un bon moment, quasi-tout le film en réalité, car comme Joan, on ne mettra jamais qu’un seul pied dans le fantastique. Dans *Martin*, Argento avait su à la fois nous laisser très proche du personnage principal, nous le rendant familier malgré ses différences, attachant malgré sa cruauté ; et en même temps nous laissant quelques libertés pour prendre du recul et juger la situation avec un œil plus sceptique que celui de notre fanatique protagoniste. Ici (est-ce parce que le cinéaste est cinq ans moins mature quand il parle de sorcières que quand il parle de vampires, ou bien est-ce un réel choix de mise en scène?), on reste constamment collés aux escarpins de madame, nous permettant, certes, de vivre une expérience plus immersive, mais prenant le risque non négligeable de perdre pléthore de spectateur sur le bord de la route. Avec peu de musique, un 4/3 claustrophobique, et une image imitant plus les séries télévisées que le cinéma horrifique, Romero colle à son film une aura suintant le quotidien qu’il dénonce des femmes au foyer, au détriment d’une esthétique plus élaborée et aguicheuse. Joan s’ennuie, et l’on nous montre, par tous les moyens, pourquoi. Si ce n’est pas divertissant, ça à le mérite d’être efficace.
Cela dit, passée cette douche glaçante d’austérité de deux heures, le film m’a laissée longuement songeuse (un film d’Halloween qui fait penser aux sorcières toute la soirée, voila un film qui a rempli son contrat!). Car si le concept est radical dans sa forme, il n’en est pas moins novateur dans son fond. Tout comme dans *Martin*, Romero joue la carte du fantastique dans son sens premier, c’est à dire que malgré qu’on y croit, ou qu’on ai très envie d’y croire, rien dans le film ne permet de trancher quant à la réelle occurrence de faits occultes. Fantaisies rêveuses et coïncidences, ou sorcellerie ? L’histoire ne le dit pas. Car finalement et comme souvent avec Romero, les monstres ne sont qu’un moyen aguicheur d’emmener son spectateur ailleurs. Ce n’est pas la première fois du mois qu’on met en scène la sorcière pour n’y croire qu’à moitié (à vrai dire, le concept était déjà exploité dès le premier film du mois, c’est dire), par contre, c’est la première fois qu’on laisse poétiquement le doute planer (les *Haxan* et les *Sorcières de Salem* fracassaient le mythe de la sorcière à grand renfort de rationalisme et de sens de la justice, fondé certes, mais peu cinématographique), et surtout, c’est la première fois qu’il est mis en scène non pas pour enfoncer les femmes, mais pour les élever. Adieu théorie douteuses de l’hystérie clinique, bonjour féminisme subtil et libération de la femme. Ce n’est pas en passant l’aspirateur et en restant fidèle aux traditions familiales que la femme s’épanouit et évite l’hystérie chez Romero. C’est au contraire en versant dans l’occultisme et surtout avec tout ce que cela entraîne (l’adultère, le désintérêt pour le foyer, le détournement du commérage), que Joan sortira de son ennui, certes, mais surtout deviendra quelqu’un, quelqu’un de cruel peut-être, tournant le dos à ceux qui l’aime de façon tragique, mais surtout quelqu’un de passionnant, enfin. La sorcellerie féministe pour Halloween, quelle délicieuse sucrerie...
Zalya
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le 3 nov. 2020

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