Shadow Days
6.2
Shadow Days

Film de Zhao Dayong (2014)

Shadow Days ou le Grand Bond en Arrière

A l'inverse de la politique volontariste et économiquement battante impulsée par Mao, le Grand Bond en Avant, tout, dans ce film de Zhao Dayong, avance à rebours et procède par soustraction : un homme encore jeune revient, accompagné de sa femme enceinte, dans le village des montagnes de son enfance, Zhiziluo, où il n'était pas retourné depuis vingt ans ; poursuivi par la police pour une affaire de meurtre dont aucun tenant ne sera dévoilé, il ne tardera pas à tenter de renier son identité de naissance pour en adopter une nouvelle ; la brigade qu'il intègre, au service de son oncle, maire du lieu, opère violemment en capturant les femmes fécondes pour les priver chirurgicalement de leur capacité à enfanter ; pour se sauver d'un mal mystérieux qui le ronge, l'oncle se convainc de la nécessité de supprimer l'enfant porté par la compagne de son neveu ; suppression qui en entraînera deux autres... Arithmétique perdante : pour tenter de sauver une vie, trois seront donc anéanties.


A l'image de ce jeu de soustraction macabre, le rythme est lent, comme suspendu au rebord d'abîme auquel s'agrippe le village montagnard. L'air a beau y être incroyablement pur, fait qui est souligné par deux fois, il semble au contraire infesté d'une vapeur néfaste et de fantômes qui ralentissent les gestes et la démarche des vivants, provoquent des apparitions dès que s'étend la pénombre. Les humains, lorsqu'ils ne sont pas absorbés par une activité précise et ponctuelle, traînent et perdent leur temps, s'adonnent au jeu et à la boisson, quand ils ne sont pas franchement pris d'une folie plus ou moins douce. Les chamans y exercent encore leurs pratiques, côtoyant paisiblement des pasteurs très actifs, quoique médiocrement suivis. On brûle des encens au pied de la statue de Mao, comme s'il s'agissait d'une divinité. Et l'on croit en l'efficience des "esprits malfaisants", ainsi qu'en la nécessité de les combattre rudement...


L'image est superbement agencée, flottant dans des blancs et des gris légèrement bleutés, desquels le rouge - couleur positivement connotée en Chine, puisqu'elle est celle du sang, de la circulation de vie, et donc associée à la chance et à l'énergie - est presque totalement banni, sauf dans une scène douloureusement violente où il vire rapidement au noir. Cette descente lente dans un Enfer d'altitude s'effectue sous l'œil impassible et altier de monts dentelés, qui semblent observer de très loin cet écoulement humain des jours d'ombre.


Un film magnifique, qui dresse le portrait d'une Chine à la dérive, entre réel et imaginaire, parmi les lambeaux de brume.

AnneSchneider
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le 16 mai 2016

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Anne Schneider

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