Une expérience de Cinéma unique. Shirin de Abbas Kiarostami constitue non pas un mais trois films se répondant les uns avec les autres : déjà celui, invisible, du conte persan re-présenté par une bande-son enveloppant l’entièreté d'une salle obscure peuplée d'une centaine de spectateurs, féminins pour la plupart ; ensuite celui du public visionnant cette bande mystérieuse et poétiquement évocatrice, public nous faisant face tout en réagissant aux émotions véhiculées par ladite bande immatérielle ; enfin celui, concret, du visionnage effectué par nous-mêmes, spectateurs contemplant d'autres spectatrices comme autant de miroirs iraniens, tantôt émues, tantôt fascinées, tantôt bouleversées.


Abbas Kiarostami prolonge notre regard, crée ses trajectoires visuelles et cinématographiques en décuplant les possibilités du média filmique comme aucun autre réalisateur avant lui. Sidérant, d'une densité méditative et réflexive absolument folle Shirin peut être vu de mille et une façons différentes, tant chaque visage, chaque impression, chaque larme versée, chaque sourire peut faire écho à un élément du support sonore représentant l'énigmatique long métrage impitoyablement situé hors-champ. Le cinéaste iranien perpétue la pensée héraclitéenne en dé-montrant sans l'appuyer que le spectateur de Shirin ne se baigne jamais deux fois dans le même film, tant la richesse évocatrice des mots et des sons parviennent à rendre visible l'invisible tout en créant une passerelle sans limites entre eux et leurs auditeurs, et auditrices.


Que la beauté d'une Oeuvre réside dans l'oeil de celui qui la regarde : l'artiste et l'esthète sont traités d'égal à égal par Abbas Kiarostami, tant son long métrage hautement conceptuel parvient dans le même temps à se livrer tel un morceau de cinéma concret et interactif littéralement subjuguant. Plus le film avance et plus il devient hallucinant de profondeur et de simplicité mêlées. L'artiste respecte la formidable valeur réverbérante du silence et celle, presque émulsive, du raccord liant un visage à un autre entre deux moments donnés. Shirin est l'une des expériences les plus riches et les plus miraculeuses du Cinéma libre et éminemment moderne de Kiarostami : un véritable chef d'oeuvre, évidemment superbe, à voir absolument pour en regretter l'ignorance et pour mieux éprouver l'envie de le re-découvrir encore et encore, comme au premier jour. Sublime.

stebbins
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le 2 juin 2021

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