J’ai du mal à comprendre où va Triet.
Ce film est-il un objet organique, sensible ? Dans la direction tout l’indique, mais le montage elliptique et aérien, toutes ces coupes, tous ces épisodes, toute cette musique, ça met une grande distance entre la matière et moi, ça désincarne un cinéma qui pourtant hurle à la gloire de l’incarnation.
En fait, comme pour Victoria, j’ai à nouveau la sensation d’avoir vu le film d’une équipe technique. C’est encore plus visible dans Sibyl. Je vois un chef opérateur qui fait son travail, un chef monteur qui fait son travail, une réalisatrice qui fait son travail, on filme le scénario qu’on a écrit, on pose les lampes où il faut les poser, on coupe là où le sens du rythme impose de couper, mais j’ai pas le sentiment que tout le monde aille dans la même direction et cherche la même chose… ou cherche quoi que ce soit. Qui tient la barre, bon sang ?
La structure narrative, si erratique soit-elle, demeure une construction linéaire et lisible, de surface et facile à détricoter. Sybil, présent, passé, bon, bon, blabla. La forme est tape-à-l’œil, « auteuresque », mais est plus sage qu’elle s’en donne l’air. Elle est avant tout l’esclave de l’histoire à raconter, avec ses personnages écrits comme prétextes à filmer des acteurs qui se donnent à l’image. Au fond, on est surtout là pour pousser Efira, Exarchopoulos et les autres dans leur art, pas tellement pour autre chose.
C’est malgré tout plus mémorable que Victoria. Le film n’est pas mauvais ; je peux donner l’impression de le penser, mais ce n’est pas le cas. C’est parce qu’au fond j’ai envie de voir Triet décoller que je suis dur avec son cinéma. De toute façon, ce ne sera peut-être jamais vraiment mauvais, un Triet. Elle a son élégance, sa technicité, on verra toujours quelque chose d’intéressant, avec ses aspérités. Elle a son sens des hauts et des bas, comme elle l’annonçait explicitement de la bouche d’Arthur Harari dans la Bataille de Solférino.
Je le répète, elle a son élégance. Son travail peint son réel, un réel qui n’est pas le mien mais qui m’intéresse, un quotidien de Parisienne, qui a fait les Beaux-Arts, entourée de ces faiseurs de phrases absconses et absurdes présents dans tous ses films : fréquenter et identifier ces bêtes-là l’aura peut-être préservée d’en devenir une, et aura contribué à rendre son art moins loquace et plus fin qu’il aurait pu l’être.
Mais moins loquace ne signifie pas muet. Triet parle. Et malheureusement, tout ce que dit son cinéma jusqu’ici, ça a déjà été dit, en plus fort. Il faut arrêter d’aller par là. Il faut arrêter la psychologie, arrêter de méta-interroger le cinéma, arrêter le blablabla, arrêter de mettre Virginie Efira dans toutes les situations émotionnelles et physiques possibles juste pour la faire jouer des trucs et raconter je sais pas quoi. Pour l’instant, je vois Triet poursuivre des chimères. C’est bien écrit, bien dirigé, mais il n’y a pas de liant qui me colle le cul au fauteuil, la carence esthétique et cinématographique est trop importante. J’attends plus de ce terreau d’élégance et de technicité. La Bataille de Solférino c’était fort, je veux retrouver le mojo que j’avais vu dans ce premier long-métrage, je veux du cinéma.