Alors que M. Night Shyamalan est en train de doucement retrouver les faveurs de la critique avec son sympathique The Visit qui arrive ce mois-ci en Blu-ray, j’avais une envie de déclarer tout mon amour à celui que je considère avec Incassable comme son film le plus réussi : Signes.
Bon par contre ça spoile sévèrement. Te voilà prévenu, lecteur.


Après un générique sur fond de musique stressante et angoissante, le film commence de manière contrastée par, et comme le chantait Jean-Jacques Goldman, « ♪ un matin tout tranquille et serein… ♫». La famille Hess (composée des frères Merrill et Graham, père de Bo et Morgan) découvre des crop-circles dans leurs champs de maïs. C’est-à-dire des motifs géométriques complexes et de taille imposante réalisés par flexion des épis. Se pose alors la question de la signification et de la provenance de ces agroglyphes :



  • A) Canular ?

  • B) Dépression du maïs conduisant à un repli des épis
    sur eux-mêmes?

  • C) Invasion extraterrestres imminente ?

  • D) Obi Wan-Kenobi ?


Bon, faire reposer l’intrigue d’un film sur un canular ou la psychanalyse d’un épi de maïs semblant un peu léger, je casse le suspense : réponse C). Alors parlons petits bonhommes verts.
Enfin, « petits », « petits »… Peut-être qu’ils ne sont pas petits mais géants. Le maïs… Géants verts… On tient une piste là je crois !
Mais je m’égare.



Avec Signes, M. Night Shyamalan refuse d’opter pour un schéma de film d’invasion extraterrestre classique.



Des aliens donc. Avec Signes, M. Night Shyamalan refuse d’opter pour un schéma de film d’invasion extraterrestre classique, à la manière de ce que fera Steven Spielberg avec La Guerre des Mondes (il est d’ailleurs amusant d’entendre Merrill prononcé le titre du livre dans Signes). Exit les soucoupes volantes, lasers à gogo et autres explosions à tout va dont le brave chien réchappe vaillamment. Signes a beau se passer au milieu des champs de maïs, ce n’est pas un film pop-corn pour autant.
L’arrivée des envahisseurs à l’échelle planétaire ne sera donc vécue que par le prisme de la petite ville américaine de Bucks County. Et même d’un point de vue encore plus réduit : par la lorgnette de la cellule familiale des Hess. Une approche rafraîchissante.
Les seules images du monde extérieur sont rapportées par la télévision. Le film esquisse à ce moment le pouvoir de fascination que peuvent exercer les chaines d’informations en continue, la peur alors engendrée par l’extérieur, le repli sur soi et l’addiction à la moindre bribe de nouvelle image, aussi ridicule soit-elle (un oiseau qui tombe du ciel). Un propos malheureusement bien d’actualité. Le fait de ne voir que peu de personnages autres que les membres de cette famille perdue au milieu des champs et coupée du monde distille un sentiment d’isolation renforçant ainsi une ambiance déjà bien angoissante.



Signes regorge de moments absolument terrifiants.



Car oui, Signes regorge de moments absolument terrifiants : une silhouette immobile sur le toit de la maison dans la nuit (ce plan quasi-subliminal est parfait) qui observe Graham et sa fille, les grésillements suspects et stridents du baby phone, une ombre derrière une porte qui se fige quand Graham lui parle, une partie de cache-cache nocturne dans les champs de maïs avec le vent comme seule musique ou encore la famille qui se terre au fond de la cave pour échapper à l’envahisseur. Mais surtout, ce sommet d’angoisse qu’est la vidéo amateur brésilienne (la partition de James Newton Howard fait alors des merveilles). Pour l’anecdote, cette scène a valu au film d’être recensé 77ème dans un classement paru en 2004 des 100 scènes les plus effrayantes.



La suggestion passe par la mise en scène en refusant de tout montrer bêtement en plein cadre .



Ces scènes fonctionnent grâce à une belle économie d’effet. Les créatures mettront du temps à se dévoiler (heureusement car leur rendu n’est pas toujours réussi, même si l’image floue de la vidéo du Brésil ainsi que le reflet dans la télé et le contre-jour durant le climax fonctionnent bien comme cache-misère) et tant mieux car rien ne vaut la suggestion.
Cette dernière passe par la mise en scène en refusant de tout montrer bêtement en plein cadre : Un couteau utilisé comme miroir sous une porte pour tenter de voir ce qui se trame dans la pièce voisine. Le flash-back du drame de la famille Hess racontée par bribe tout au long du film. Des dialogues rapportant des scènes marquantes qui n’auraient pas fonctionné par l’image (une vieille dame qui crache sur tous les skate-boards d’un magasin ou le monologue de Merrill sur son chewing-gum salvateur durant la soirée où il aurait pu emballer une fille). L’invasion de la maison entièrement retranscrite par le son. La caméra statique filmant une simple lampe torche alors que Morgan est sur le point de se faire enlever en hors-champ, créant alors une vraie frustration pour le spectateur. Le long plan fixe et silencieux de 30 secondes durant lequel Merrill décide de rejoindre la surface pour s’assurer que tout danger est écarté. M. Night Shyamalan fait preuve de créativité en jouant avec les cadres et la grammaire cinématographique. Et ça fonctionne.



L’audace du réalisateur se retrouve aussi dans certains choix assez peu commun.



L’audace du réalisateur se retrouve aussi dans certains choix assez peu commun : deux chiens qui meurent (un poignardé par un enfant, l’autre tué par un envahisseur), l’eau d’ordinaire symbole de vie utilisée ici comme arme de mort (notamment durant le puissant et mortel coup de batte de base-ball, filmé depuis le point de vue de l’extraterrestre) ou encore parler de foi via le personnage d’un prêtre qui ne croit plus en Dieu (la mise en scène est à ce moment encore pleine de sens avec le visage de Graham partagé entre lumière et obscurité).


Heureusement, de nombreuses touches d’humour bienvenues allègent le film : les confessions de l’employée de pharmacie, Graham (joué par Mel Gibson) angoissé à l’idée de balancer des injures en faisant croire qu’il est Hors de contrôle, la théorie de Merrill sur les auteurs des prétendus canulars qui ne seraient que des tarés sans copine ou encore les chapeaux en papier d’aluminium. Le film mêle angoisse et humour. Et Mel Gibson.



Signes est aussi une histoire sur la foi.



Mais Signes n’est pas qu’un film fantastique (dans les deux sens du terme) intimiste et réussi avec pour toile de fond, un poignant drame familial. C’est aussi une histoire sur la foi. Pas seulement religieuse, mais au sens large. Un peu à la manière du leitmotiv de Lost : « Everything happens for a reason ». Une idée parfaitement retranscrite dans le climax, véritable maelström émotionnel durant lequel des éléments distillés durant le film (les « Signes » du titre qui ne renvoient donc pas seulement aux crop-circles), a priori anodins, s’imbriqueront parfaitement pour accoucher d’un épilogue tout en pudeur et en émotions. Ces dernières minutes sont totalement sublimées par la puissante partition lyrique d’un James Newton Howard décidemment en très grande forme.



Mel Gibson dans l’un de ses derniers rôles marquants.



Coté casting, on retrouve Mel Gibson dans l’un de ses derniers rôles marquants. Avec son personnage de Graham, il joue dans la catégorie poids lourd. Tout en finesse et sensibilité, mad Mel est exceptionnel. Son frère Merrill est campé par un Joaquim Phoenix moins expressif, le personnage étant un cogneur d’Amérique profonde, sympathique mais apathique. Pour une performance mémorable, on attendra donc ses films suivants pour que Phoenix renaisse de ses cendres. Mais Signes marque surtout la révélation d’Abigail Breslin, véritable petit bout de chou, par moments totalement scotchante du haut de ses 6 ans, notamment dans la scène du repas. Pas étonnant que sa carrière ait autant décollée par la suite. Son frère (oui, tout le monde a un frère dans ce film) est joué par Rory Culkin, tête à claque un peu casse-couille. Mais le petit Rory me permet de placer une anecdote plus intéressante que sa performance, à savoir l’identité de son doubleur en version québéquoise : Xavier Dolan. Car en plus de rafler moult prix dans divers festivals, Xavier Dolan est aussi le doubleur officiel de Taylor Lauter (Jacob dans Twilight), Rupert Grint (Ron dans Harry Potter), Josh Hutcherson (Peeta dans Hunger Games) ou encore d’Aaron Taylor Johnson (Kick-Ass dans… merde, j’ai oublié le nom du film).


M. Night Shyamalan Signe son meilleur film. Le film est un cocktail réussi d’émotions, faisant preuve d’une approche novatrice de l’invasion extraterrestre, parsemé d’humour avec une mise en scène intelligente, le tout soutenu par de belles performances d’acteurs. Blindé de scènes fortes et véritable réussite à tous les niveaux, le 5ème film du réalisateur est à mon sens son dernier chef-d’œuvre à ce jour.


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le 20 févr. 2016

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