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On ne présente plus Martin Scorsese, cinéaste reconnu à la carrière gargantuesque aux films les plus cultes les uns que les autres. Peu savent qu'avant d'entamer sa carrière de réalisateur, celui-ci avait voulu entrer dans les ordres pour mener une vie religieuse mais qu'il avait été jugé trop jeune pour ça et a sombré dans la cocaïne. L'ange et le démon au sein d'un même être. La quête de transcendance et d'une rédemption illusoire sont au cœur de sa filmographie avec d'une part ses films sur le crime, les gangsters, la violence, etc, ses plus connus ; et d'autres part des films beaucoup plus ancré dans le spiritualisme et la religion à l'image The Last Temptation of Christ qu'il avait réalisé en 1988. Un homme aux deux facettes et qui essaye de les retranscrire le plus fidèlement. Silence est un film de cette dernière catégorie, un projet qu'il porte depuis presque 30 ans, étant une sorte de suite spirituel à son The Last Temptation of Christ où un homme devait accepter sa condition divine. Ici, le message est complémentaire mais inverse, où l'on voit l'homme ériger en figure divine, accepter sa condition humaine, son orgueil et sa fierté.


Il est rare de voir un réalisateur au style très marqué le changer au cours de sa carrière pour explorer de nouveau horizon, et c'est d'autant plus rare quand ce dernier à passé les 70 ans. Pourtant Scorsese signe son film le plus différent et le plus radical depuis au moins 20 ans. Un choix audacieux et admirable où celui-ci laisse de côté ses tics habituels que ce soit dans le rythme effréné ou ses mouvements de caméra énergique qui avait ériger un cinéma énervé qui avait atteint son paroxysme en 2013 avec l'épatant et hystérique The Wolf of Wall Street. Avec Silence, il offre probablement son film le plus calme et le plus déroutant. Le rythme y est lent, pouvant même dérouté le spectateur surtout face à la durée conséquente de l'oeuvre, le style est épuré au possible notamment dans son absence totale de musique, seul les bruits de la nature opère en fond sonore, et la mise en scène appliquée de Martin Scorsese prend son temps pour instaurer une ambiance oppressante et douce, à l'image du silence, qui n'est pas sans rappeler les magnifiques travaux de Akira Kurosawa. On sent l'influence que le cinéaste japonais à eu sur ce film sans que celle-ci ne prenne le pas sur ce que Scorsese nous montrer et nous raconte. Accompagné de la sublime photographie de Rodrigo Prieto, qui travaille admirablement les effets de brumes et les teintes sombres, Scorsese porte un regard judicieusement mystique sur la religion, par moments même abstrait malgré la frontalité du sujet qui plonge le film dans une forme enivrante de surnaturelle.


Tantôt fantastique, tantôt introspectif, le film est in fine un thriller psychologique fascinant qui plus que réfléchir sur la foi s'intéresse avant tout à comment elle trouve ses racines dans l'âme humaine. La religion n'est qu'une parabole pour parler de croyance, chose qui ne se résume pas qu'à l'idolâtrie d'une figure divine supérieur mais à la quête de réponses là où il n'y a que le vaste silence de l'inconnu. A sa manière, chaque Hommes est croyant mais chaque Hommes ne croient pas en la même chose. C'est cette pluralité qui fascine le cinéaste ici, et il va plonger dans un débat au proportion proprement hallucinante où il sonde les tréfonds impénétrables de la condition humaine. Jamais définitif dans ses réflexions, il laisse intelligemment le spectateur faire ses propres conclusions dans un récit à la sagesse admirable. Il ne condamne aucun parti car chacun à ses torts et ses raisons. Les japonais bouddhiste apparaissent même plus cultivés, curieux et intelligents que les chrétiens qui brillent surtout par leurs obscurantismes mais où ils trouvent la bonté dans leurs ignorances tandis que les autres s'en remettent à la cruauté de leurs savoir. On est témoins de la stupidité des Hommes, prêt à s'entre-tuer pour une divergence d'opinion, une vision différente de ce qu'est la croyance.


L'oeuvre se révèle très actuelle, comme le dit un proverbe japonais cité dans le film, ce que l'on ne peut changé c'est la nature humaine. Encore aujourd'hui, certains sont prêt à mourir ou à tuer au nom d'une soi-disante croyance dans une quête de réponses illusoire car ils en cherchent là où il n'y en a tout simplement pas. Ou alors elle est sous leurs yeux sans que jamais ils ne s'en rendent compte. Ceci est très bien symbolisé par la relation significative qui unit le père Rodrigues et Kichijiro, le guide qui doit les accompagner au Japon, individu faussement faible qui renie sa foi et la reprend inlassablement. Présenter comme un lâche, il représente le signe de foi que le personnage principal attend durant tout le film, celui qui revient sans cesse quand ce dernier doute, celui qui se révèle être au final celui qui ne renonce jamais à sa force de conviction.


Habile réflexion sur la liberté de l'esprit, Silence prend aussi la forme d'une Odyssée initiatique ténébreuse, évoquant la nouvelle de John Conrad Heart of Darkness et son adaptation cinématographique Apocalypse Now. Les deux prêtres partant à la recherche de leur ancien mentor pour au final se retrouver face à leurs propres désillusions. Le récit gagne au fur et à mesure une densité vertigineuse et une puissance sidérante surtout qu'il est accompagné d'un casting exceptionnel. Andrew Garfield confirme après Hacksaw Ridge qu'il est la figure christique par excellence, il se révèle bouleversant par sa prestation juste et impliquée. Liam Neeson retrouve un rôle à sa mesure où tout en émotions retenues, il livre une performance lucide et habitée tandis que le casting japonais impressionne par leurs subtilités sidérantes. Issey Ogata s'impose comme une figure tout aussi perfide que compatissante alors que Yōsuke Kubozuka marque l'esprit dans son rôle faussement pathétique. Souvent ridicule dans ses apparitions mais profondément touchant, il incarne un personnage pleinement issue de l'oeuvre de Kurosawa. On regrettera peut être la sous exploitation du pourtant très bon Adam Driver.


Silence apparaît comme un morceau de cinéma retors et fascinant. Difficile à aborder par sa forme rugueuse et une oeuvre qu'il faut indéniablement digérer, il risque de ne pas connaître le succès qu'il mérite par sa durée conséquente, son rythme lent et un public qui se laisseront faussement bercé par le confort du "réalisé par Martin Scorsese" pour au final se retrouver face à son film le plus exigeant. Beaucoup seront déçus de prime abord mais l'on est clairement face à une oeuvre qui sera reconsidéré avec le temps tellement sa proposition se révèle intense et flamboyante. Silence est ce qu'a fait Scorsese de plus personnel, à la fois film somme et testament bouillonnant d'un cinéaste au sommet de son art qui refuse la facilité et le confort pour offrir une réflexion sans pareil sur la foi et sur le comment elle s'enracine dans les tréfonds de l'âme humaine. Le silence comme réponse déchirante à un chaos perpétuel. Magistralement réalisé, écrit avec le cœur et joué avec les tripes, Silence est un chef d'oeuvre.

Frédéric_Perrinot
10

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le 11 févr. 2017

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Flaw 70

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