Sisters with Transistors
7.6
Sisters with Transistors

Documentaire de Lisa Rovner (2020)

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On a parfois la fausse impression d'avoir "fait le tour de" tel courant musical, telle question. Puis vient un guide, sous la forme d'un ami vous prêtant un disque, d'un livre relu à l'âge de raison, d'un morceau passé à la radio, ou, le cas échéant, un documentaire (NB : ...oui, je sais, on me voit souvent venir de loin). Et la machine est relancée.
"Machine". Le terme n'est évidemment pas innocent.
Car si aujourd'hui on reconnait les places majeures de la plupart des créatrices effleurée dans ce film, savoir que d'un coté, on peut avoir dès le début du 20eme siècle un Serge Russolo reconnu pour son Arte Dei Rumori, que plus tard Stockhausen est accepté comme révolutionnaire de fait, que Pierre Henri et autres Grands Masturbateurs de la musique concrète sont reconnus en tant que compositeurs majeurs (certains s'attribuant a posteriori la création de la techno et du concept de sample... mais c'est une autre histoire), et de l'autre, voir la bande son de Forbidden Planet sortir sous l'appellation "electronic tonalities by Louis & Bebe Barron". Pas de "soundtrack", pas de "composed by"...
Et si Doctor Who n'avait pas eu la longévité que l'on connait, qui sait si Delia Derbyshire aurait eu cette reconnaissance ?
Mais les Machines, ont fait leur apparition, les ancêtres des synthés (en fait la base des synthés modulaires), et ont été considéré un certains temps avec un mépris à peine déguisé, entre le jouet onéreux qui permet au béotien de faire joujou et l'appareil élitiste qui offre aux non-musiciens la possibilité de faire du son. Pas de la musique, du son. Et la nuance est importante. Il faudra que des mâles à l'ego bien boursouflé se proclament compositeurs, ou posent devant des murs de synthés modulaires (INA GRM, les pochettes de Pierre Henry, notamment, qui ont l'air de dire "ne fait pas de musique électronique si tu n'as pas les sous", entre autres), que des groupes de rock et de musique contemporaine intègrent la synthèse sonore dans leurs mode opératoires pour que l'on passe des "electric tonalities" à la "musique électronique".


Aujourd'hui, hier même, lorsque j'ai commencé à écouter de la musique électronique, les disques d'Eliane Radigue étaient reconnus, Marianne Amacher sortait sur le label de Zorn, Kim Gordon écrasait Sonic Youth de son charisme glaçant, et j'étais loin de me douter à l'époque que si Kraftwerk étaient considérés comme des pionniers, les contemporaines du krautock, de la musique concrète, et ce malgré mai 68, malgré TOUT le chemin parcouru durant le 20eme siècle, continuaient un combat qui aurait dû être absurde : celui d'être simplement reconnues de par leurs créations révolutionnaires, sans avoir à se heurter à la condescendance phallocrate qui transpire de partout.


Rassurez-vous : ce documentaire, en plus d'être de grande qualité, parle de tout, et avant tout de musique! J'insiste sur cette dimension pour une raison toute bête : je pensais naïvement que s'il existait une zone où on pouvait espérer ne pas avoir cette forme de discrimination, c'était peut-être dans la musique (le fait de ne connaitre aucune compositrice classique avant Nadia Boulanger aurait dû me mettre le transistor à l'oreille...)


Ne serait-ce que pour la voix de Laurie Anderson, la découverte et redécouverte d'artistes qui ont changé la face B de la musique électronique, par la créativité, la lutte, l'humour, la ténacité, voir Eliane Radigue émue aux larmes de pouvoir assister de son vivant à l'interprétation d'une de ses compositions par un grand ensemble, et la tonne d'images d'archives, ce documentaire s'impose de fait comme indispensable.

toma_uberwenig
8
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Créée

le 1 déc. 2021

Critique lue 276 fois

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toma Uberwenig

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